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touffes de poil. Ils sont d’un brun foncé, et non fauve clair comme ceux que l’on promène en Europe pour le divertissement des badauds ; ceux-là ne viennent pas d’Afrique, mais de Pise, où il y en a une colonie introduite aux Cascines du temps des croisades. C’est là que les charlatans vont s’approvisionner, l’emplète leur coûte six à sept louis. Les chameaux du Maroc sont à bas prix. On les estime par le nombre de journées qu’ils sont capables de faire en un tour de soleil : on dit un chameau de deux, trois, quatre journées, on en cite d’onze ; mais je crains ici l’hyperbole orientale. L’exportation des chameaux est prohibée, comme celle des mules, des chevaux, des bestiaux. Il faut, pour en exporter un seul, l’autorisation spéciale du sultan. La reine d’Espagne en désirait deux ou trois couples pour un de ses domaines ; elle en fit la demande par son consul. Abd-er-Rahman répondit en prince galant qu’il s’étonnait qu’une reine, dont on lui vantait la beauté, pût s’intéresser à de si laides bêtes ; toutefois sa demande lui était accordée ; quant aux gazelles qu’elle avait aussi demandées, et qui sont l’image, disait-il, de sa grace et de ses beaux yeux, elle en pouvait tirer de ses états autant qu’elle voudrait. Dorat eût-il mieux dit ?

Nous avions perdu de vue ce qu’on peut appeler le bassin de Tanger, et nous avions sous les yeux celui de Tétouan, beaucoup plus riche, plus fertile et plus pittoresque. Le mont Akbar forme la limite entre les deux gouvernemens. Il s’abaisse insensiblement, et vient mourir au sein d’une vaste plaine, où l’on commence à trouver un peu de culture, d’abord du maïs, puis du blé. La charrue est le soc romain tel quel tiré par un âne ou par un mulet. Jusque-là, nous avions fait peu de rencontres ; en approchant de Tétouan, nous en fîmes davantage : c’étaient des bergers ou des laboureurs, tous vêtus de l’inévitable dgilâbab ; beaucoup marchaient nu-tête et nu-pieds. Le salama ! nous manquait rarement ; souvent même notre escorte nous attirait, de la part des passans, l’honneur singulier du salem alikom ! le salut des croyans entre eux.

Une fois, cependant, nous ne reçûmes ni l’un ni l’autre. Notre nègre était hors de vue ; nous nous trouvions seuls au fond d’un ravin ; une troupe de paysans le traversaient en même temps que nous. Ils étaient à cheval et portaient de longs couteaux à la ceinture : au Maroc, tout homme qui a le moyen d’acheter des armes, a le droit de les porter ; il n’est nullement besoin de permis. Comp-