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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/293

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LETTRES SUR L’ISLANDE.

nous, d’une éternelle obscurité. Que saurions-nous sur la vie d’Odin, sur ses leçons et ses œuvres, si nous n’avions l’Edda et les chants des Scaldes[1] ? »

Ce fut une colonie de Norwégiens qui peupla l’Islande : elle émigra avec ses mœurs, ses lois, ses croyances, et les transplanta sur le sol qu’elle allait occuper. Ingolfr, avant de partir, emportait, comme un autre Énée, ses dieux pénates sur son navire ; et les guerriers qui le suivirent gardèrent leur lance de pirate, et leur bouclier revêtu d’images symboliques. Ces hommes, qui fuyaient le despotisme de Harald aux beaux cheveux, appartenaient aux familles nobles de la Norwége ; ils joignaient l’orgueil aristocratique à leur orgueil de soldats. De peur qu’on ne l’oubliât, ils se faisaient raconter et ils racontaient eux-mêmes leur généalogie, leurs aventures, et les aventures de leurs proches et de leurs amis. Ainsi l’esprit scandinave revivait dans cet essaim fugitif, qui, pour garder son indépendance, n’avait pas craint de franchir une mer encore peu connue, et d’aborder sur une plage aride, dans une contrée sauvage. L’Islande s’assimila complètement à la Suède et au Danemarck. Ce furent les mêmes combats, les mêmes fêtes, les mêmes réunions de famille, le même caractère hardi et aventureux. Chaque année, les Islandais s’en allaient errer sur les côtes de la Norwége ou le long de la mer Baltique. Ils retournaient dans leur mère-patrie pour recueillir un héritage, visiter des parens, et, quelquefois venger une injure faite à leurs pères. Ils s’arrêtaient à Drontheim, à Copenhague, à Upsal, ravivaient, leurs souvenirs, et s’en revenaient avec de nouveaux récits. C’étaient des chroniqueurs intrépides, qui, au lieu de fouiller dans les bibliothèques, interrogeaient la mémoire des hommes, et, du bout de leur glaive, burinaient sur le roc des montagnes le nom qui les avait frappés, et le fait historique dont ils avaient été témoins. C’étaient, comme les Arabes nomades du désert, des hommes d’action et des poètes combattant des jours entiers à toute outrance, et se délassant du combat par le récit de leurs périls et de leurs exploits.

Souvent aussi le marchand norwégien débarquait en Islande, apportant avec lui les productions de la terre étrangère, et prenant en échange la laine et le poisson. Il arrivait ordinairement en automne, et ne partait qu’au printemps. On l’accueillait dans le boer islandais, et il devenait l’hôte, l’ami de la famille. L’hiver, à la veillée, il racontait ses aventures, ses voyages, quels lieux il avait parcourus, quelle tempête il avait essuyée, et la vie des rois de Norwége, et les batailles les plus célèbres[2]

  1. Velledning til det islandske Sprog, p. x.
  2. On sait qu’il existe encore plusieurs analogies frappantes entre les anciennes coutumes du Nord et certaines coutumes de Normandie. Dans cette province, conquise par