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Puis il y avait des conteurs de sagas islandais qui voyageaient de contrée en contrée, s’arrêtant dans les salles du jarl[1], dans la tente des hommes de guerre, pour recueillir de nouvelles traditions, et redire celles qu’ils savaient. Ils n’étaient pas, à beaucoup près, aussi honorés que les scaldes, et ne jouissaient pas des mêmes priviléges. Cependant ils étaient toujours reçus avec empressement. La cour du jarl se rassemblait autour d’eux pour les entendre, et le jarl leur donnait l’anneau d’or ou le glaive ciselé. Plusieurs d’entre eux avaient amassé, dans leurs voyages, une quantité prodigieuse de faits et de chroniques. Torfæus rapporte qu’un de ces historiens ambulans, nommé Thorstein, vint trouver le roi Harald de Norwége, et lui raconta une tradition qui dura trois jours. « Où as-tu donc appris cette histoire ? demanda le roi. — Dans mon pays, répondit Thorstein ; je vais chaque année à l’Althing, et je recueille les récits de notre célèbre Haldor. »

Quand ces conteurs de sagas avaient long-temps voyagé, ils tournaient les regards vers leur pauvre terre d’Islande, et ne pensaient plus qu’à revenir, avec leur savoir et leur expérience, se reposer sur le seuil paternel. Ni l’aspect d’une contrée plus riante, ni les liaisons formées en d’autres lieux, ni les offres des jarl, ne pouvaient leur faire oublier le rivage d’où ils étaient partis et l’humble enclos de gazon où s’élevait la fumée de leur toit. Tout ce peuple d’Islande, retiré dans ses champs de lave, et vivant, la plupart du temps, ignoré dans sa solitude, avait soif de nouvelles. Il se pressait autour des voyageurs, et écoutait avec ravissement le récit de leurs excursions lointaines. C’était, pour ces hommes naïfs et avides d’émotions, un heureux moment que celui où ils pouvaient ainsi se grouper autour d’un des leurs, le questionner et le suivre par la pensée dans les pays qu’il venait de parcourir. C’était là leur poème, c’était l’Odyssée de ces enfans d’une autre Ithaque.

Les Islandais avaient une telle passion pour ces contes de voyageurs, que, lorsqu’un bâtiment abordait dans leur île, ils allaient en toute hâte s’enquérir du pays qu’il avait quitté et des dernières nouvelles de Norwége et de Danemarck. L’un d’eux, qui était renommé pour sa richesse et son influence, obligeait tous les étrangers à aller d’abord lui raconter ce qu’ils savaient, et se mettait sérieusement en colère contre ceux qui

    Rollon, c’était aussi l’usage autrefois de payer par un chant ou un récit l’hospitalité qu’on recevait.

    Usaiges est en Normandie
    Que qui hébergié est, qu’il die
    Fable ou chanson lie a son hoste.

    (Li dits du soucretain.)

  1. Chef de tribu, petit prince. Anglo-saxon, eorl ; anglais, earl.