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LETTRES SUR L’ISLANDE.

si célèbre dans les sagas[1]. » Après eux, leurs fils aspirent aux mêmes périls et ambitionnent la même gloire. Dès qu’ils sont parvenus à se procurer un bateau et quelques hommes, ils s’élancent loin du rivage, et malheur à qui tenterait d’arrêter ces faucons d’Islande dans leur vol ! malheur à qui leur disputerait la domination du glaive et la royauté de la mer ! Ils aiment le combat, le cliquetis du glaive, l’odeur du sang. L’éducation qu’ils ont reçue leur a appris à se laisser tuer plutôt que de fuir devant un ennemi, et la religion scandinave leur rend la mort belle. Après une longue lutte, Asmundr est parvenu à dompter Egil. Il le jette par terre, et le tient d’une main robuste sous son genou. — Je ne puis te tuer, dit-il, car je n’ai pas mon épée ; veux-tu me promettre de m’attendre ; et j’irai la chercher. — Je te le promets, dit Egil. Asmundr court chercher son épée, et retrouve son adversaire étendu par terre, et attendant paisiblement la mort[2]. Quand ils sont tombés glorieusement sur le champ de bataille, on les enterre avec leurs armes, et ils vont rejoindre Odin dans le Valhalla. Quelquefois même ils revivent, comme le Cid, dans leur tombeau. Un soir un paysan passait auprès de la grotte où était enseveli Gunnar ; il entendit un bruit confus et aperçut des étincelles de lumière entre les rochers qui recouvraient le corps du héros. Il s’en alla chercher les fils de Gunnar, et le soir ils revinrent tous ensemble. La lune projetait une lueur pâle sur la vallée, mais quatre flambeaux brillaient dans la tombe, et le vieux guerrier, couché sur son armure, chantait son chant de mort[3].

Souvent les Islandais n’entreprenaient un de leurs longs voyages que pour se mesurer avec un guerrier célèbre, souvent aussi pour se venger d’une injure. La vengeance était pour eux une chose tellement sacrée, qu’ils croyaient que le ciel lui-même pouvait au besoin l’illustrer par un miracle. Un pauvre aveugle de naissance, Amundr, s’en vient à l’Althing demander à Litingr satisfaction de la mort de son père. Litingr la lui refuse. — Si je n’étais pas aveugle, s’écrie Amundr, je saurais bien me venger. Il rentre dans sa tente, et tout à coup ses yeux s’ouvrent à la lumière. — Que Dieu soit loué ! dit-il, je vois ce qu’il veut de moi ; et il saisit une hache, se précipite sur son ennemi et le tue. Un instant après ses yeux se ferment de nouveau, et il reste aveugle[4].

Les femmes ont le même caractère hardi et opiniâtre. Souvent ce sont elles qui encouragent leurs frères au combat ; et si l’appui des hommes leur manque, elles saisissent le glaive pendu à la muraille et cachent leur

  1. Gisle Sursen saga.
  2. Sagan af Eigli innhenda ok Asmundi.
  3. Nial saga.
  4. Nial saga.