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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/298

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REVUE DES DEUX MONDES.

vêtement de femme sous la cuirasse, et leurs longs cheveux sous le casque d’acier. La Hervarar saga raconte l’histoire d’une jeune fille qui, pour venger son père, s’en alla, comme un des héros du Kœmpeviser, frapper à la porte de son tombeau, et lui demander sa redoutable épée. Puis, quand son père s’est levé dans le cercueil, et lui a donné l’arme qu’il gardait à ses côtés, elle brave courageusement ses ennemis, combat et rentre chez elle victorieuse. Une autre histoire, non moins singulière, est celle de Thornbiœrg. C’est la fille d’un roi de Suède qui repousse les habitudes paisibles de son sexe, se revêt d’une armure, monte à cheval et s’élance dans les combats. Son père lui confie le gouvernement d’une province, elle quitte son nom de jeune fille pour prendre un nom d’homme, et, comme une autre Marie-Thérèse ses sujets la saluent du nom de roi. Plusieurs guerriers illustres, plusieurs princes, viennent la demander en mariage, et comme la Brunhilde des Niebelungen, elle lutte contre eux, les dompte, et les fait tuer ou mutiler. Il s’en trouve un enfin qui, après une guerre violente, parvient à se rendre maître d’elle. Alors elle retourne auprès de son père, et déposant devant lui son casque et ses armes : « Je vous rends, dit-elle, le pouvoir que vous m’aviez confié ; je renonce à la gloire que je voulais acquérir, et je redeviens femme. »

À travers ces tableaux d’une vie aventureuse, ces scènes sanglantes, on trouve cependant de temps à autre quelques idées tendres et gracieuses, quelques pages empreintes d’une douce mélancolie. Telles sont celles qui racontent la mort de Hialmar. Il tombe sur le champ de bataille comme un héros, sans regretter la vie, sans exhaler un soupir ; mais tirant un anneau de son doigt, il le donne à Oddr, à celui qui l’a accompagné fidèlement dans tous ses voyages, et le prie de le porter à sa bien-aimée. Oddr part aussitôt pour remplir sa mission, entre dans la salle où est Jngeborg et lui remet l’anneau de son fiancé. La malheureuse jeune fille le regarde, ne prononce pas un mot, et tombe morte.

Une chose curieuse à observer encore dans les sagas, c’est le caractère superstitieux dont elles sont empreintes. Les Islandais croient aux pressentimens, aux apparitions, aux rêves. Ils rencontrent souvent des fées et des trolles. Ils ont grande confiance dans l’adresse des nains, et redoutent la force des géans[1]. Il y a dans cette croyance un souvenir de leur cosmo-

  1. « Il y avait autrefois, selon l’opinion du peuple, dit Saxo le grammairien, trois espèces de trolles, qui, au moyen de la magie, produisaient toutes sortes de choses étranges. Les premiers étaient une sorte de monstres difformes que, dans l’antiquité, on appelait géans, et qui étaient beaucoup plus grands et plus forts que le peuple de nos jours. Les autres étaient bien au-dessous des géans pour la vigueur et la force ; mais ils les surpassaient de beaucoup pour l’intelligence. Ils connaissaient les secrets de la nature, et pouvaient prophétiser l’avenir. Après de longs combats, ces maîtres-sorçiers finirent par