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expriment depuis si long-temps, dans la disgrace comme au pouvoir, les vœux réels et les besoins constans de leur patrie. La seconde législature, où, dans le principe, ces opinions dominaient encore, s’effaça bientôt devant un autre pouvoir. Le sang coula sous le marteau ; le peuple rendit des arrêts, et le garrot fut à ses ordres ; d’affreux engagemens firent pactiser les partis avec le génie du mal et de la mort ; et, vers la fin de 1822, la nation tout entière paraissait engagée ou dans les sociétés secrètes ou dans les bandes de la foi.

L’Espagne de 1820, qui avait laissé choir le pouvoir absolu et salué le régime constitutionnel comme l’ère d’une pacifique réforme, cette Espagne-là semblait rentrée à cent pieds sous terre. Ainsi, après la nuit de la Granja, l’Espagne de 1834 a fait silence ; et en la voyant aujourd’hui menacée par don Carlos et par l’anarchie, bon nombre d’écrivains se frottent les mains, disant : Vous voyez qu’il n’y a pas d’opinion modérée dans la Péninsule ! Mais un Chinois qui eût vu la France à la fin de 93 n’eût pas manqué d’écrire aussi à ses correspondans de Pékin, que dans la grande monarchie de l’Occident il n’y avait que des septembriseurs et des Vendéens, l’émigration ou la Montagne. Il n’eût pas eu assez de discernement, le Chinois, pour deviner que la France de 89 vivait pourtant sous la tempête, comme vit aujourd’hui l’Espagne de 1834, comme en 1822 vivait l’Espagne de 1820.

Dans quelles circonstances, selon quel mode et d’après quelles lois les majorités s’effacent-elles devant les minorités ? Grave problème que la suite des événemens va nous permettre d’éclairer.

Les premiers travaux des cortès indiquèrent qu’elles comprenaient leur mission. L’état des finances, de l’armée, de la marine, donna lieu à des discussions lumineuses. Une loi importante sur les majorats fut votée dans un esprit de sagesse ; ils furent replacés dans la classe des biens libres, et leurs propriétaires purent en disposer sous certaines réserves et conditions équitables[1]. Le ministère, choisi par le roi entre les disgraciés de la camarilla et les détenus des présides[2], parut d’abord généreux, car il n’étala pas avec un trop cruel orgueil l’empreinte de ses fers. La résignation de la couronne et la modération de l’assemblée auraient sans doute rendu l’harmonie possible, si les résistances des vaincus n’avaient fait concevoir des espérances à l’une, si les exigences des vainqueurs n’avaient également servi de stimulant à l’autre.

Le principal embarras pour les pouvoirs sortis d’une révolution est de

  1. Loi du 12 octobre 1820.
  2. Les membres les plus importans de ce cabinet étaient les frères Argüelles et Garcia Herreros.