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ambition ; tous le quittèrent les mains pures, sans qu’à leurs noms s’attachât aucun de ces soupçons infamans qui n’avaient pas épargné certains hommes, assez habiles pour mettre leur réputation privée à couvert sous la facile protection des passions révolutionnaires. Il est aisé d’expliquer comment le système dont ce cabinet fut l’expression persévérante et courageuse succomba devant la gravité des obstacles, sans trouver dans sa chute l’occasion d’accuser la nation espagnole et de douter de ses vœux.

La chute du ministère Argüelles et Garcia Herreros avait donné aux exaltés, dans le sein des cortès, une majorité accidentelle et flottante, et les députés américains, récemment entrés dans l’assemblée[1], venaient en aide en toute occasion au parti communero. C’était, en effet, le plus sûr moyen de désorganiser l’Espagne et de la rendre impuissante contre ses anciennes colonies. L’ayuntamiento de Madrid, fidèle aux traditions de la trop fameuse commune de Paris, faisait à l’influence du congrès une concurrence redoutable. Les sociétés secrètes enlaçaient la représentation nationale et l’administration tout entière ; leurs membres dépensaient en vociférations quotidiennes une énergie qu’ils se gardaient d’aller employer en Catalogne ou en Navarre, et qui, après avoir déterminé l’invasion française, ne sut pas lui résister un jour. On désignait des victimes et aux marteaux de la populace, rouges encore de la cervelle de Vinuesa, et aux poignards dont quarante mille sectaires tenaient le manche, pendant qu’une invisible main en dirigeait la lame. On sait, en effet, que les affiliés des Tours et des Châteaux juraient de mettre à mort quiconque aurait été déclaré traître, « vouant leur gorge au couteau, leurs restes au feu et leurs cendres au vent, s’ils manquaient à ce serment sacré. »

Au milieu de ce dévergondage d’imagination et de paroles, la résistance absolutiste s’organisait sur presque tous les points, moins compacte qu’aujourd’hui dans les quatre provinces, mais bien plus universelle. La Galice, la Navarre, la Catalogne, les Andalousies et les deux Castilles étaient sillonnées de bandes dont les succès momentanés ranimaient de vieilles illusions au cœur du roi et d’anarchiques colères au sein des clubs. La défaite sans combat des Napolitains avait jeté dans les cafés des grandes villes une masse d’hommes qui ne pouvaient faire pardonner leur lâcheté que par leur violence ; l’Aragon était le foyer d’une conspiration républicaine, ourdie en même temps contre la France et contre l’Espagne, et Riego passait pour la connaître, sinon pour en être le complice. Les rapports diplomatiques devenaient chaque jour

  1. Environ cinquante députés américains, la plupart du Mexique, assistèrent à la seconde session des cortès.