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Des croix de Saint-Ferdinand et des opinions plus libérales, le mépris de ses auxiliaires en guenilles et l’horreur des réactions, voilà ce que l’armée de la restauration rapportait d’une campagne où il fut plus difficile de rencontrer l’ennemi que de le vaincre. Quant aux agens politiques, ils prévoyaient une catastrophe dont la France devenait en quelque sorte solidaire, et réclamaient vainement une amnistie pour laquelle son gouvernement avait engagé sa parole. Dans l’absence de tout crédit et de toutes ressources, en face de la banqueroute qui n’est d’aucune opinion, et qu’une d’elles cependant ne craignait pas de préconiser, au milieu de la consternation des hautes classes et des classes bourgeoises, toutes plus ou moins atteintes par d’innombrables catégories, ils voyaient le gouvernement espagnol passer de la démagogie des clubs à celle des volontaires royalistes, sans qu’on leur reconnût le droit de faire arriver jusqu’à lui un conseil de prudence, une parole de modération. Les prisons regorgeaient de détenus, le sabre des janissaires royaux fonctionna dans maintes villes, et cent mille Français regardaient ! Aujourd’hui encore ils regardent ; mais du moins c’est par de là les Pyrénées, et le sang n’éclabousse plus leurs armes immobiles.

La France a forfait deux fois à sa mission civilisatrice sur ce pays. En 1808, Napoléon refusa de le prendre sous la protection de son génie et de sa gloire ; en 1823, la restauration n’osa lui dispenser le bienfait d’une liberté régulière. Puisse la France ne pas manquer une troisième fois à son œuvre ! Triste destinée que celle de l’Espagne où l’expérience semble perdue pour tous, où l’abîme semble toujours invoquer l’abîme ; étrange destinée que celle de la France, contrainte pour obtenir quelque adoucissement à un régime qui compromettait sa victoire, et pour faire tomber un ministère inepte autant qu’impitoyable, de s’abriter derrière la Russie, et de pousser à Madrid le comte Pozzo di Borgo au secours de son ambassadeur[1] !

Nous proposant de faire comprendre l’Espagne, et non d’en retracer l’histoire, nous ne saurions donner à une époque de transition l’attention que nous avons dû porter à ces crises durant lesquelles les partis se montrent sans déguisement et sans pudeur, temps solennels où la nature humaine laisse plonger dans ses abîmes, comme la mer lorsque la tempête en soulève les vagues. Si, après les évènemens que nous venons de retracer, une question est jugée en dernier ressort, c’est l’impossibilité de

  1. Ce ministère dut succomber sous les instances du corps diplomatique, et le 2 décembre il se trouva remplacé par un cabinet où entrèrent le marquis de Casa-Irujo, le comte d’Ofalia, le général Cruz, don Luis Ballesteros et don Luis Maria Salazar, hommes plus ou moins engagés dans les voies de modération