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L’ESPAGNE AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE.

constituer un gouvernement par l’une ou l’autre des factions auxquelles l’intervention armée de la France et l’intervention diplomatique de l’Europe firent en une même année échapper l’Espagne : factions debout encore l’une et l’autre, réclamant comme leur proie ce pays qu’on leur laisse, et qu’il eût été facile de leur ôter, si le gouvernement français avait tenu les yeux ouverts sur cette crise pour la finir en temps utile. L’une promène dans les montagnes de Biscaye son impuissance que dissimule une force locale vivante et plus populaire ; l’autre répète, avec un sang-froid qui fait honte, les banalités révolutionnaires que ne relèveront jamais pour elle ni l’enthousiasme de la Marseillaise, ni la victoire sur l’étranger ; partis de la Tragala et du Rey neto, du bonnet phrygien et du bonnet soufré, des égorgeurs de moines et des bourreaux monarchiques, où règne un égal mépris de l’homme et de Dieu.

Le règne de Ferdinand VII, depuis la chute du ministère Saëz jusqu’aux dernières années de sa vie, est une époque d’un caractère difficile à déterminer. Aucun principe nouveau ne fut proclamé, aucun abus ne fut solennellement répudié, aucun acte ne releva légalement d’honorables citoyens des proscriptions ou des incapacités qui pesaient sur eux ; pas une parole du pouvoir ne donna lieu de penser qu’on songerait jamais à modifier ces coutumes respectables des ancêtres, ces droits absolus du trône inséparables de ceux de la religion, que tous les sujets fidèles devaient défendre contre de prétendues réformes impies et subversives ; plusieurs années après la réaction de 1823, on résumait encore tous les devoirs de l’Espagnol dans ces trois mots : Aimer le roi, obéir au roi et mourir pour son absolu pouvoir[1]. C’était toujours la même langue, la même doctrine officielle, et cependant, sous le couvert de ces mortes formules, l’Espagne s’avançait visiblement vers un ordre nouveau. Des hommes avaient disparu et d’autres avaient pris leur place, appliquant le même symbole, mais dans un autre esprit et des directions différentes. D’anciens pastelleros, des serviteurs de la constitution, ou même du roi Joseph, ces juifs de l’Espagne, relevés par Ferdinand de leur note d’infamie, entouraient son trône, maintenaient l’ordre public, et rendaient quelque essor à la prospérité nationale. C’est que chez ce prince, le malheur avait fini par tuer la passion et par ne plus laisser vivre que le sentiment de la sécurité personnelle, toujours si éveillé sur les tendances des hommes et la portée des choses. Il n’aspirait plus qu’au repos, et un lit à l’Escurial lui était doux pour mourir. Comment se serait-il dès lors livré au parti dont le triomphe eût provoqué une réaction

  1. Proclamation à l’occasion de l’établissement de la charte brésilienne en Portugal, juillet 1826.