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car nul bien n’arrive sans effort, nul enfantement ne s’opère sans douleur et sans danger.

Au reste, l’abbé de La Mennais a prouvé la folie des systèmes lorsqu’il a écrit un livre sublime, que le dernier prolétaire comprend comme l’Évangile, et devant lequel les plus hautes intelligences sont forcées de s’incliner ? J’espère que vous ne trouvez pas dans les Paroles d’un Croyant l’ombre d’un système, et que, cependant, c’est une large et solide base où toutes les grandes espérances peuvent s’appuyer. Qu’on mette à l’action des hommes animés et possédés de tout le feu sacré du principe, et ne soyez pas en peine des petits moyens et des mesures journalières. Ils sauront bien bâtir leur temple pierre à pierre, attacher leur filet maille à maille, ayant dans la main l’inspiration qui émeut les rochers, et la foi qui fait marcher sur les eaux. — Je pense que l’abbé de La Mennais, en se rattachant à la religion chrétienne au milieu des haines qu’elle inspire, avait plus à faire que tous les fondateurs de religions nouvelles ; et voyez l’effet de quelques pages sur l’Europe entière. Comparez-le aux avortemens de tant de productions systématiques !

— Et cependant, n’en doutez pas, reprit Franz, l’avenir du monde est dans tout. Les divers élémens de rénovation se constitueront un jour et formeront une noble unité. Oh ! non, tant de belles lueurs éparses ne retomberont pas dans la nuit ; tant de nobles aspirations, tant de généreux soupirs, ne seront pas étouffés par l’implacable indifférence du destin. Qu’importent les erreurs, les faiblesses et les dissensions des champions de la vérité ? Ils combattent aujourd’hui épars, et malades malgré eux du désordre et de l’intolérante vanité du siècle. Ils ne peuvent s’élever au-dessus de cette atmosphère empoisonnée. Perdus dans une affreuse mêlée, ils se méconnaissent, se fuient, et se blessent les uns les autres, au lieu de se presser sous la même bannière, et de plier le genou devant les plus robustes et les plus purs d’entre eux. Ils prodiguent leur force à des engagemens partiels, à de frivoles escarmouches. Il faut que cette génération haletante passe et s’efface comme un torrent d’hiver. Il faut qu’elle emporte nos lamentations prophétiques, nos protestations et nos pleurs. Après elle, de nouveaux combattans mieux disciplinés, instruits par nos revers,