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limentait plus qu’elle ne l’interrompait. La France la voulait pour assurer son avenir, l’Europe pour reconquérir son passé, le chef de l’état pour maintenir son arbitraire. Ainsi, la liberté et l’arbitraire, le passé et l’avenir, s’unissaient pour l’exiger. On se trompait l’un l’autre en signant de fausses trêves ; on aurait pu crier : Dieu le veut ! Dieu le veut !

Si l’on recherche comment la démocratie put se concilier pendant la lutte avec le pouvoir absolu, il est facile de voir d’abord que ces deux mots ne se sont pas toujours exclus. C’est ainsi que dans l’antiquité la Grèce démocratique se modifia sous la main d’Alexandre pour aller remplir l’Orient de son génie. De même encore, la démocratie romaine se tut quelque temps devant César, et le chargea de sa victoire. César, l’homme du peuple, fut le précurseur guerrier de l’Évangile. Napoléon sera-t-il le précurseur d’un évangile nouveau ?

Le peuple ne juge long-temps les pouvoirs que par l’origine d’où ils sortent. Jamais il ne vit le despote dans celui qui était surgi de ses rangs. La capote du sous-lieutenant couvrit jusqu’à la fin l’empereur. D’ailleurs, la démocratie comprenait que cet homme était son soldat, comme Mirabeau avait été son orateur. Au milieu des conseils des rois, il était le seul qui fût là par la volonté et par l’élection du pays. Quand le peuple, après le consulat, ne vit plus distinctement l’image de la révolution, il se trouva entraîné à de vastes projets, dont le but lui échappait et qui le séduisaient par leur mystère. Il sentit aveuglément qu’il devenait un agent formidable de civilisation, et les proclamations du chef, comme les chapitres du Coran, l’instruisaient à demi de la mission de son prophète. Jeté dans un monde nouveau, il fit comme la phalange macédonienne transportée en Orient : il oublia le sol natal.

Ceci explique comment deux sortes d’hommes ne se sont jamais trompés sur le caractère du despotisme de l’empire. Ni sur le trône, ni dans la rue, il n’abusa personne. L’empereur ne réussit jamais à se faire passer pour un roi de vieille race, ni auprès des rois, ni auprès du peuple ; et c’est pourquoi il ne s’attira jamais, quoi qu’il fît pour cela, ni l’amitié des uns, ni l’inimitié de l’autre.

L’empire fut le moment où la révolution traîna sur son char de triomphe, à travers toutes les capitales, une royauté faite de ses mains ; car dans le moment même où elle semblait s’abdiquer, elle