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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/47

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VOYAGES D’UN SOLITAIRE.

faisait pourtant acte de puissance et de vie. Elle avait brisé une royauté, elle en reconstruisait une nouvelle. C’était encore là un acte de souverain. Elle prenait, il est vrai, le costume et les usages des rois vaincus, comme Alexandre avait revêtu, après Arbelles, la pourpre de l’Asie ; mais en vain elle changeait de figure et de nom. Elle ne pouvait renier son origine.

Au reste, l’empire avait en lui plusieurs causes de ruine, lesquelles semblaient se contredire l’une l’autre. Il y en avait qui lui avaient été léguées par la révolution même ; il y en avait, au contraire, qui venaient de ce qu’il avait mutilé la révolution ; enfin, il y en avait qui tenaient à la personne même du chef, car il est de la nature de ces hommes d’épuiser promptement les générations qui les servent. Les Grecs étaient las d’Alexandre sur l’Indus ; les Romains, de César, à Munda ; la France était lasse de Napoléon, sur le Niémen. Comme, au reste, il réunissait en lui la double usurpation de la royauté et de la révolution, il ne pouvait manquer de rencontrer une double lutte. C’est ce que l’on vit dans les cent jours, où il fut ruiné au dedans, au nom de la révolution, au dehors, au nom de la légitimité.

Il y avait de telles contradictions dans cet établissement, qu’évidemment il fallait tout le génie de son chef pour le faire durer. Même sans la main de l’étranger, il serait tombé par des causes intérieures, dès la seconde génération, comme ceux de Charlemagne et de Cromwell ; mais la différence infinie pour la France eût été que sur la base solide et non violée de sa puissance extérieure, elle eût établi, dans une pleine indépendance, sa volonté politique, quelle qu’elle fût : royauté, aristocratie, démocratie, au milieu du respect des peuples, comme l’Angleterre au sein de l’Océan.

Si l’on pouvait encore douter que la cause de la démocratie ait été représentée par Napoléon, il suffirait de voir ce que la première est devenue quand le second est tombé. Sous la restauration, la démocratie n’a-t-elle pas eu aussi son roc de Sainte-Hélène, en même temps que son chef ? À mesure que celui-ci vint à manquer, ne dut-elle pas abdiquer comme lui sa souveraineté entre les mains de la légitimité ? Le peuple ne perdit-il pas sa couronne le jour où le despote perdit la sienne ? ne lui fallut-il pas rendre son épée aux gentilshommes, et cacher son drapeau devant le drapeau du droit