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autre chose que protester contre Rome et rentrer dans l’interprétation individuelle. Il y a de plus, envers le saint-simonisme, qui, à un certain moment, s’est appelé le nouveau christianisme, une sorte d’ingratitude à lui reprocher sa tentative qu’on imite : car c’est bien à lui qu’appartient cette pensée, mise en œuvre depuis, que le salaire n’est que l’esclavage prolongé. Au reste M. de La Mennais est tenu de nous donner, sur ce point du vrai christianisme qu’il professe aujourd’hui, des explications plus précises. Croit-il au mal ? Croit-il à la réhabilitation de la matière, comme on dit ? Son principe de liberté, qui est tout protestant, l’empêche d’être du christianisme organique comme l’entend M. Buchez. Sa manière de philosophiser, le christianisme est-elle tout simplement, avec plus de ferveur et d’impulsion, un pur déisme avec morale évangélique, comme par exemple la religion de MM. Jouffroy et Damiron, et si l’on veut aller au plus loin dans ce sens, est-elle un socinianisme humanitaire ? En vérité jusqu’à nouvel ordre, jusqu’à ce que M. de La Mennais ait articulé expressément l’ingrédient caractéristique de son véritable christianisme, je penche pour cette dernière supposition. En tout cas, on a droit de réclamer là-dessus d’autre parole que celle-ci (page 179) : « Des sentimens nouveaux, de nouvelles pensées annoncent une ère nouvelle. » Ces derniers temps ont un peu trop usé le vague du symbole.

On prendrait, d’après notre sèche discussion, une idée bien inexacte du dernier livre de M. de La Mennais, si l’on ne s’attendait pas cependant à y trouver un vrai charme de récit, et, sauf le deuil de la foi perdue, auquel peu de lecteurs seront sensibles, bien des richesses d’une grande ame restée naïve. La gaieté elle-même n’en est pas absente : je n’en veux pour preuve que cette page légère où se jouent toutes les graces d’ironie d’une plume laïque et mondaine. Les voyageurs, las d’attendre l’Encyclique qui ne devait les joindre qu’en route, quittèrent Rome en frétant un voiturin : « Cette manière de voyager, lorsque rien ne vous presse, dit l’auteur, est la plus agréable que puissent choisir ceux qui doivent rechercher une stricte économie. On séjourne, on voit mieux le pays que dans les voitures publiques. Notre bon Pasquale, toujours d’humeur égale, abrégeait nos longues heures de marche par sa conversation spirituellement naïve. Représentez-vous une large figure pleine et ronde, empreinte d’un singu-