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LETTRES SUR L’ISLANDE.

au midi, et de trois côtés différens inonde toute l’Europe. La race gothique peuple les forêts de la Scandinavie ; elle occupe le Danemark, la Suède, la Norwége, et lui donne une même religion et une même langue. La seconde race s’en va, avec des armures de fer, là où l’Elbe, aujourd’hui, murmure tristement dans ces plaines de Dresde traversées par tant de batailles ; là où le Rhin bondit au pied du Drachenfels, et de sa vague azurée caresse la blanche tourelle et les coteaux de Rudesheim, chantés par les Minnesœnger. Elle est ardente et énergique, jalouse de son indépendance, fière de sa force et de son courage. Ses jours de fête sont des batailles, et ses premiers poètes sont des soldats. Elle envahit successivement la Saxe, la Souabe, l’Helvétie, et une partie de la Gaule. Laissez-la venir. Bientôt elle sera aux portes de Rome et fera reculer les conquérans du monde devant elle.

Mais par les montagnes de la Thrace, par la Macédoine et l’Illyrie, par les champs phrygiens, par les plaines d’oliviers de la Grèce, voici venir la troisième race. Celle-ci est jeune et riante ; elle se couronne de fleurs et se crée des mythes d’amour. Avec sa fraîche et charmante imagination, elle s’en va semant sur ses pas la fable ingénieuse, faisant de sa religion un poème, et de ce poème un chant de joie. Cette montagne, qui s’élève devant elle, c’est l’Olympe, cette autre le Parnasse, et cette mer qui soupire sur le rivage est celle qui a enfanté la déesse de la beauté. Tout ce qui lui vient des autres peuples s’épure et s’embellit en passant par ses lèvres poétiques ou par ses mains d’artiste. C’était un édifice informe, c’est maintenant le temple de Diane ; c’était une grossière statue d’Isis, c’est la Vénus de Praxitèle ; c’était le récit mystérieux de quelque prêtre égyptien, c’est devenu un chant d’Homère, une scène de Sophocle, une ode d’Anacréon.

Et maintenant, à prendre l’une après l’autre ces trois races, qui croirait qu’elles ont eu un même berceau, qu’elles proviennent de la même souche ? Ni leurs mœurs, ni leur caractère, ni leur histoire ne se ressemblent ; mais il existe entre elles un lien continu que le temps a rendu peu à peu moins apparent, sans qu’il se soit jamais brisé. Il y a encore, entre le Nord et l’Orient, un signe de parenté qui s’est maintenu à travers les siècles et les révolutions ; ce signe, c’est la langue, la langue islandaise, la vieille langue scandinave, dont il est facile de reconnaître l’identité avec les dialectes germaniques et les dialectes grecs. Ainsi, en remontant par l’anglais et le hollandais, par le danois et le suédois, jusqu’à l’anglo-saxon, au vieil allemand, à l’islandais, et de là jusqu’au mésogothique, on arriverait à démontrer très bien de quelle racine tous ces rameaux sont sortis et comment ils ont divergé. On pourrait faire la carte géographique de toutes ces langues, les suivre comme autant de fleuves dans leurs sinuosités, dans leurs conquêtes, et, à l’aide de ces