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peu à peu reporté toute l’ardeur d’esprit et tout le besoin de foi que la noble fierté de juillet avait un moment tournés vers la politique.

Si j’avais été provoqué à parler à M. Sainte-Beuve de mes sentimens pour M. Carrel, qu’il a moins vu que moi, et moins intimement, quoique ayant été de ses collaborateurs, il eût expliqué mon entrée au National par des motifs plus dignes de Carrel, sinon de moi ; car si c’est assez faire pour moi que de me montrer tenté seulement par l’excellence de l’écrivain, ce n’est pas assez faire pour Carrel, que de dire qu’il n’a attiré que par son style un homme auquel M. Sainte-Beuve veut bien reconnaître de l’honnêteté et beaucoup de raison, quoique de l’espèce commune. Mais, je le répète, ce n’a été là qu’une des nombreuses causes, et non la cause unique, par où j’ai été attiré vers Carrel, et lui ai été gagné. C’est parce que son esprit valait encore mieux que ses écrits, et son cœur que son esprit ; c’est parce qu’il était le représentant le plus complet et l’organe le plus éloquent des nobles instincts de la France, de ces idées de droit commun, de liberté pour tous, de dignité extérieure et d’influence civilisatrice, idées dont il a créé la langue ; c’est qu’à une habileté infinie, à un tact que lui auraient envié les plus hommes de cour et de diplomatie, il joignait cette générosité de premier mouvement et cette noble imprudence de cœur que n’ont pas les hommes de cour et de diplomatie, et qui fait faire les grandes actions ainsi que cette sorte de fautes dont il est si beau d’être coupable ; c’est que, supérieur aux mesquines convenances des partis, à leurs haines obligées, à cette cécité volontaire qui, en leur cachant les qualités et les ressources réelles de leurs ennemis, leur fait souvent faire la guerre au hasard, Carrel savait souffrir, que dis-je ? aimait qu’on parlât devant lui, avec faveur, de ses adversaires politiques les plus directs, et quelquefois les louait lui-même, plutôt que de paraître ou les ignorer ou les craindre ; c’est enfin qu’il approuvait précisément que je défendisse la bonne foi de quelques-uns de mes anciens amis contre son propre penchant à charger leur caractère des torts de leur direction politique, et qu’en particulier je laissasse voir librement, en toute occasion, ma reconnaissance et mon respect pour M. Bertin l’aîné. Combien je dois regretter que M. Sainte-Beuve n’ait pas lu un article du National, où je parlais, à peu près sans précaution, des qualités privées de M. Bertin l’aîné, article dont Carrel avait permis l’insertion, malgré les réclamations d’amis plus irrités, couvrant ainsi ma reconnaissance de son honneur, et mettant les convenances morales au-dessus des exigences politiques !

La seule chose qui m’ait affligé dans les critiques de M. Sainte-Beuve, c’est le scrupule, si amèrement exprimé, de nommer M. Bertin l’aîné à côté de Carrel. Qu’en conclure, en effet, sinon que si ce voisinage n’ho-