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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

garde de proférer des paroles qui offensent Dieu ou ses saints[1] ; » et passant à une exposition de la croyance orthodoxe telle qu’il aurait pu la prononcer du haut de la chaire, il ajouta : Sache qu’à les considérer dans leurs personnes, autre est le père, autre le fils, autre le Saint-Esprit. Ce n’est point le père qui s’est fait chair, non plus que le Saint-Esprit, c’est le fils, afin que, pour la rédemption des hommes, celui qui était fils de Dieu devînt aussi fils d’une vierge. Ce n’est point le père qui a souffert la passion, ce n’est pas l’Esprit-Saint, c’est le fils, afin que celui qui s’était fait chair en ce monde, fût offert en sacrifice pour le monde. Quant aux personnes dont tu parles, ce n’est point corporellement, mais spirituellement qu’elles doivent s’entendre ; et ainsi, bien qu’en réalité elles soient au nombre de trois, il n’y a en elles qu’une seule gloire, une seule éternité, une seule puissance[2]. »

Cette espèce d’instruction pastorale fut interrompue par le roi, qui, ne voulant plus rien écouter, s’écria avec emportement : « Je ferai lire cela à de plus savans que toi, et ils seront de mon avis[3]. » Grégoire fut piqué du propos, et s’animant de son côté jusqu’à l’oubli de la circonspection, il repartit : « Il n’y aura pas un homme de savoir et de sens, il n’y aura qu’un fou qui veuille jamais admettre ce que tu proposes[4]. » L’on ne peut dire ce qui se passa alors dans l’ame de Hilperik, il quitta l’évêque sans prononcer une parole, mais un frémissement de colère fit voir que le roi lettré et théologien n’avait rien perdu de la violence d’humeur de ses ancêtres. Quelques jours après, il fit l’essai de son livre sur Salvius, évêque d’Alby, et cette seconde tentative n’ayant pas mieux réussi que la première, il se découragea aussitôt, et abandonna ses opinions sur la nature divine, avec autant de facilité qu’il avait d’abord mis d’obstination à les soutenir[5].

  1. Observare te convertit, neque Deum, neque sanctos ejus habere offensos. (Gregorii Turon., Hist. lib. v, pag. 259.)
  2. Nam scias, quia in persona aliter Pater, aliter Filius, aliter Spiritus sanctus. Non Pater adsumsit carnem, neque Spiritus sanctus, sed Filius… De personis vero quod ais, non corporaliter, sed spiritaliter sentiendum est… (Ibid.)
  3. At ille commotus ait : Sapientioribus te hæc pandam, qui mihi consentiant. (Ibid.)
  4. Et ego : Nunquam erit sapiens, sed stultus qui hæc quæ proponis sequi voluerit. (Ibid.)
  5. Ad hæc ille frendens siluit. Non post multos verò dies adveniente Salvio Albigensi