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sa position ; il n’avait presque rien à craindre des attaques fougueuses, mais sans art, d’un ramas d’hommes inhabiles aux travaux militaires, et capables seulement de venir, avec bravoure, escarmoucher sur des barques, au pied de ses murailles. Les jours et les mois se passèrent dans des tentatives d’attaque inutilement renouvelées, où les guerriers franks firent sans doute de nombreuses prouesses, mais qui mirent bientôt à bout leur patience. Ennuyés d’un campement prolongé, ils devinrent de plus en plus indociles, négligèrent le service qui leur était commandé, et ne s’occupèrent avec ardeur qu’à battre la campagne pour amasser du butin[1].

Telles étaient les dispositions de l’armée campée devant Melun, lorsque Leudaste arriva plein d’espoir et d’assurance, au quartier du roi Hilperik. Il fut le bien-venu auprès des leudes qui retrouvaient en lui un ancien compagnon d’armes, brave dans le combat, joyeux à table et hardi au jeu ; mais, quand il essaya de parvenir jusqu’à la personne du roi, ses demandes d’audience et les sollicitations de ses amis les plus élevés en grade et en crédit furent repoussées. Assez oublieux des injures, lorsque sa colère était calmée, et qu’il ne se sentait pas matériellement lésé dans ses intérêts, Hilperik aurait cédé aux prières de ceux qui l’entouraient, et admis en sa présence l’accusateur de Frédégonde, si la crainte de déplaire à la reine et d’encourir ses reproches ne l’eût retenu. L’ex-comte de Tours, après avoir inutilement employé la médiation des seigneurs et des chefs de bande, s’avisa d’un nouvel expédient, celui de se rendre populaire dans les rangs inférieurs de l’armée, et d’exciter en sa faveur l’intérêt de la multitude[2].

Grace aux défauts mêmes de son caractère, à ses bizarreries d’humeur et à sa jactance imperturbable, il y réussit complètement, et cette foule d’hommes, que l’oisiveté rendait curieux et faciles à émouvoir, s’anima bientôt pour lui d’une sympathie passionnée. Quand il crut le moment venu d’essayer sa popularité, il demanda que l’armée tout entière suppliât le roi de le recevoir en sa présence ; et un jour que Hilperik traversait les lignes du camp, cette requête proférée par des milliers de voix, retentit tout à

  1. Adriani Valesii rerum francic., lib. xi, pag. 157.
  2. Ibid. pag. 160.