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NOUVELLES LETTRES SUR L’HISTOIRE DE FRANCE.

coup à ses oreilles[1]. Les sollicitations d’une troupe en armes, indisciplinée et mécontente, étaient des ordres ; le roi s’y soumit par crainte de voir son refus causer une émeute, et il annonça que le proscrit de Braine pouvait se présenter devant lui. Leudaste parut aussitôt et se prosterna aux pieds du roi en demandant pardon. Hilperik le fit relever, dit qu’il lui pardonnait sincèrement, et ajouta d’un ton de bienveillance presque paternelle : « Comporte-toi avec prudence, jusqu’à ce que j’aie vu la reine, et qu’il soit convenu que tu rentres en grace auprès d’elle ; car, tu le sais, elle est en droit de te trouver bien coupable[2]. »

Cependant le bruit de la double agression tentée contre Melun et contre Bourges fit sortir le roi Gonthramn de son inertie et de ses habitudes peu militaires. Depuis les premières conquêtes des Neustriens en Aquitaine, il n’avait prêté de secours aux villes de son partage que par l’envoi de ses généraux, et jamais il ne s’était mis en personne à la tête d’une armée. Menacé de voir sa frontière de l’ouest ouverte sur deux points différens, et l’invasion neustrienne pénétrer cette fois au cœur de son royaume, il n’hésita pas à marcher lui-même contre le roi de Neustrie, et à provoquer une bataille décisive, qui, selon sa croyance, mêlée de traditions germaniques et d’idées chrétiennes, devait être le jugement de Dieu. Il se prépara à cette grande démarche par la prière, le jeûne et l’aumône, et, rassemblant ses meilleures troupes, il prit avec elles la route de Melun[3].

Parvenu à peu de distance de cette ville et des cantonnemens de Hilperik, il s’arrêta, et, quelle que fût sa confiance dans la protection divine, il voulut, suivant l’instinct de son naturel précautionneux, observer à loisir les positions et l’attitude de l’ennemi. Il ne tarda pas à être informé du peu d’ordre qui régnait dans le camp des Neustriens, et du peu de soin avec lequel on y faisait la garde, soit de jour, soit de nuit. Sur cet avis, il prit ses mesures pour

  1. Deprecatusque est populum, ut regi preces funderet ut ejus præsentiam mereretur. Deprecante igitur omni populo… (Gregorii Turon., Hist. lib. vi, pag. 282.)
  2. Rex se videndum ei præbuit, prostratusque pedibus ejus veniam flagitavit : cui rex : Cautum, inquit, te redde paulisper, donec visa regina conveniat qualiter ad ejus gratiam revertaris, cui multùm inveniris esse culpabilis. (Ibid., pag. 282-283.)
  3. Guntchramnus verò rex cum exercitu contrà fratrem suum advenit totam spem in Dei judicio collocans. (Ibid. pag. 282.) — Ipse autem rex, ut sæpe diximus, in eleemosynis magnus, in vigiliis atque jejuniis promtus erat. (Ibid., lib. ix, pag. 347.)