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DE LA MUSIQUE DES FEMMES.

cier, ou qu’il ne puisse tirer aucun enseignement des tentatives qu’il a faites jusqu’à ce jour, pour vouloir appliquer à la musique, le plus vague de tous les arts ; des doctrines que la poésie a constamment repoussées. On dirait que la musique et la poésie sont deux servantes, dont tout l’emploi consiste à vêtir un mannequin selon la mode usitée au moyen-âge, et quand il est vaillamment bardé de fer jusqu’à la nuque, à chanter derrière lui une chanson du temps, tandis qu’il gesticule des bras et des jambes et se démène comme un furieux. Le costume et le caractère, toujours ; l’homme et ses passions, jamais. Étrange système qui déconcerterait bien ses partisans, si on le poussait à ses dernières conséquences. En effet, si le but de l’art est de reproduire, qu’on nous passe le mot, la plasticité d’une époque, qui pourra jamais dire avoir trouvé la vérité ? Quoi donc ! vous interrogez des ruines que le temps anéantit et met en poudre, et vous laissez là, sans y prendre garde, le cœur humain qui ne meurt pas ! Dans quel livre mystérieux irez-vous apprendre la tonalité de l’époque dont vous avez fait choix ? J’imagine que M. Hugo lui-même serait fort dépourvu, si on le priait de siffler un petit air dans le goût du xiiie siècle. Ainsi voilà un système de vérité qui a besoin de conventions plus que tous les autres. Faites donc comme Shakspeare et Rossini, chantez selon la nature, contentez-vous de n’exprimer que les affections du cœur, et laissez là toutes ces fariboles bonnes à conter à des enfans en nourrice. La scène entre Phoebus et la Esmeralda abonde en traits ingénieux et piquans, entrecoupés çà et là par la voix creuse et monotone du prêtre libertin. On regrette, dans ce morceau, que la mélodie, qui pourrait s’élever à de grandes hauteurs dramatiques, se contente de raser la terre avec le murmure agréable, il est vrai, mais aussi quelque peu indifférent d’une abeille qui butine. Au lieu d’effeuiller ainsi son inspiration en parcelles insaisissables, il semble que Mlle Louise Bertin aurait dû la ramasser en gerbe dans quelque phrase passionnée et sublime comme a fait M. Meyerbeer pour l’adagio du beau duo entre Raoul et Valentine, au quatrième acte des Huguenots. Peut-être, par un sentiment de modestie, Mlle Bertin a-t-elle renoncé à s’aventurer dans une entreprise d’où le maître allemand s’est tiré avec tant d’honneur ; peut-être aussi ne lui convenait-il pas d’attaquer de front cette situation, au moins étrange,