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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/70

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est devenue chair, c’est quelque chose, qui respire, qui existe, un fait que l’on peut toucher de la main, et que l’on comprend avec les yeux.

Puisque nous avons prononcé plus haut le mot de danse macabre, nous parlerons, en passant, de celle que l’on voyait autrefois à Bâle, et dont il ne reste qu’une copie et deux têtes originales, conservées dans le vestibule de la bibliothèque. Il paraît résulter des recherches qui ont été faites, que l’usage de peindre sur les murs des cloîtres et des églises une suite d’images de la mort, entraînant, en dansant, des personnages de toutes les conditions, existait avant le xive siècle. Selon les uns, l’idée de ces peintures fut suggérée par des mascarades ; selon d’autres, par la grande dépopulation qu’occasionnèrent les différentes pestes qui ravagèrent l’Europe. Quoi qu’il en soit, il n’est pas douteux que le désolant spectacle de mortalité que présenta presque constamment le moyen-âge dut être directement ou indirectement l’origine de ces danses, et il importe peu de savoir si l’on commença par la pantomime ou par la peinture. D’après Fabricius[1], ces représentations prirent le nom de danse macabre, du poète Macaber, qui, le premier, traita ce sujet bizarre dans des vers allemands, traduits en latin, par P. Desrey, de Troyes, en 1460. À l’époque du concile de Bâle, et lorsque la peste désolait cette ville, les Pères du concile, voulant laisser un monument instructif de ces jours de deuil, firent peindre une Danse des morts sur le mur du cimetière de Saint-Jean, appartenant aux dominicains.. Le nom du peintre qui l’exécuta n’a point été conservé ; on sait seulement qu’en 1568, Jean-Hugues Klauber fut chargé de réparer cette fresque dont les couleurs commençaient à s’altérer. Cet artiste, trouvant trois places vides, ajouta trois tableaux à ceux qui existaient déjà. Dans le premier, il donna le portrait du réformateur Æcolompade, encore vivant, et qu’il montra prêchant sur le jugement dernier devant une assemblée de gens de toute condition ; dans le second, qu’il plaça à la fin du branle funèbre, il se représenta lui-même recevant la visite de la mort couronnée de lauriers ; enfin dans le troisième, il montra sa femme appelée à suivre son enfant, et descendant dans la tombe un berceau vide entre les bras.

Ce fut aussi en 1568 que l’on joignit des vers allemands à la Danse macabre de Bâle. Ces vers, dont l’audace frondeuse se ressent de la réforme, traduisent du reste fidèlement les poses et les gestes des différens personnages. Il est curieux de voir combien la pensée indépendante et républicaine perce dans tous les monumens élevés par les arts au moyen-âge. On sent que les artistes sortis du peuple impriment à leurs œuvres le cachet de leur origine ; c’est toujours l’égalité procla-

  1. Bibl. lat. Med.