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LE MAROC.

s’envole vers la patrie absente, et qu’il se reporte par la pensée au milieu des amis qu’il y a laissés. Les découvertes dédommagent-elles des déceptions ? Le but vaut-il la poursuite ? Et si, frappé du sceau de la tristesse, miné par l’ennui, cette incurable lèpre de notre temps, il a quitté la famille et le toit paternel, pour s’échapper à lui-même et pour retremper son ame en des émotions nouvelles, son espérance est-elle réalisée ? Avant qu’il prît en main le bâton de voyage, le poète ne lui avait-il pas dit que changer de ciel n’est pas changer d’ame ? Que rapporte-t-il de ses longs pèlerinages ? Des sens émoussés, un cœur blasé, et trop souvent l’ennui qu’il avait voulu fuir. Que lui revient-il de ses âpres luttes avec les élémens, et quel est le prix de tant de privations et de tant de périls ? Son corps est affaibli, sans que son ame en soit plus forte ; et lorsqu’après bien des années de solitude et d’excursions lointaines, il revient enfin au foyer domestique, son père est mort en l’attendant, et ceux qui l’aimaient l’ont oublié. Quelques souvenirs des contrées lointaines, voilà tout ce qui lui reste pour le consoler dans son précoce isolement.

Tandis que je me plaignais ainsi en moi-même de l’inclémence du ciel, la nuit était venue et l’orage ne s’était pas calmé. La pluie tombait toujours, et les ténèbres rendaient plus lugubres encore les voix sinistres de l’ouragan. Une nouvelle voix vint tout à coup s’unir à elles : c’était la mer qui battait les dunes. Nous avions enfin atteint la plage du vieux Tanger. Des bateaux de pêcheurs portugais, égarés dans le détroit, allumaient des signaux pour se reconnaître, et ces feux sinistres brillaient seuls dans l’ombre comme des étoiles rougeâtres.

Telle fut la fin de cette journée d’épreuves. Nous arrivâmes à la porte de Tanger au moment où elle se fermait. La tempête durait depuis douze heures sans interruption ; nous en avions passé quatorze à cheval.


Charles Didier.