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Page:Revue des Deux Mondes - 1836 - tome 8.djvu/714

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et bâtit une église dédiée à saint Colomban. Après lui vint une femme de la même nation, qui introduisit la vie chrétienne au milieu du paganisme scandinave, et fit poser des croix au-dessus de plusieurs montagnes. Les Islandais respectèrent ces croix, quelques-uns firent de saint Colomban un héros, et lui donnèrent une place honorable dans le Valhalla, mais voilà tout ce que produisit le zèle des missionnaires irlandais. Bientôt pourtant une voix plus hardie et plus opiniâtre se fit entendre : c’était celle d’un Islandais, celle de Thorvaldr le voyageur[1]. Il avait été baptisé par l’évêque Frédéric de Saxe, et il amena l’évêque avec lui pour prêcher le christianisme dans son pays. Mais il avait long-temps guerroyé sur les côtes étrangères, et il se souvenait trop de son ancien métier de soldat. La parole était pour lui un moyen d’action trop faible et trop lent ; il eut voulu convertir l’Islande par le fer et par le sang. Ses sermons ressemblaient à des cris de colère, et si on lui faisait une injure, il sentait bouillonner tout son sang de pirate. Un jour, deux poètes islandais avaient improvisé contre lui une épigramme, il désespéra de leur salut, et les tua comme deux mécréans. Une autre fois, il apprit qu’un de ses ennemis se trouvait non loin de lui : c’était aussi un païen intraitable qui n’avait pas voulu prêter l’oreille à ses prédications. Il le tua pour en avoir plus tôt fini. Le digne évêque n’eut pas le courage de suivre plus long-temps un tel compagnon ; il retourna dans son église de Saxe et mourut saintement. Quant à Thorvaldr, après avoir porté son rude prosélytisme à travers toute l’Islande, il sentit renaître en lui le goût des voyages lointains. Il s’en alla en Grèce, en Syrie, à Constantinople et à Jérusalem ; puis, il s’arrêta en Russie, et fonda un couvent où il mourut.

Après lui vint Thangbrandr, envoyé par le roi Olaf Tryggvason. C’était un homme de la même trempe que Thorvaldr. D’une main il tenait la croix évangélique, mais de l’autre il tenait le glaive. Il ne reculait ni devant un meurtre ni devant une bataille, et il savait également discuter avec les pontifes païens et lutter avec les berserkirs. Malgré tant de zèle et tant de courage, il ne put vaincre l’obstination des Islandais, et s’en retourna en Norwége. Mais le roi Olaf renvoya deux autres missionnaires. Ceux-ci tâchèrent d’agir sur l’esprit du peuple par les cérémonies religieuses, et ils réussirent. Les prêtres catholiques parurent à l’assemblée du Thing avec leurs blancs surplis et leurs longues chasubles ; l’encensoir balancé par une main d’enfant exhala ses parfums, et la cloche répandit dans les airs ses sons plaintifs et harmonieux. C’est une belle page à ajouter à ces admirables pages que M. de Châteaubriand a écrites sur la

  1. Le mot vidfœrla signifie plus que voyageur. Il serait mieux rendu par le mot latin peregrinator.