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LETTRES SUR L’ISLANDE.

cloche dans son Génie du christianisme. La foule s’émut à l’aspect de cette solennité religieuse, et plusieurs hommes qui étaient restés inébranlables à la colère de Thorvaldr et aux sermons de Thangbrandr s’inclinèrent, par un mouvement involontaire, devant le prêtre qui s’avançait ainsi précédé de la croix. Puis, les leçons évangéliques, répétées tant de fois, s’étaient pourtant insinuées dans quelques esprits ; puis, le roi Olaf, qui était puissant, menaçait l’Islande de toute sa colère, si elle refusait d’entendre la parole des nouveaux missionnaires, et enfin une voix s’éleva pour proposer l’adoption du christianisme. Mais, à ces mots, les vieux Scandinaves sentirent se ranimer toute leur ferveur païenne, et l’assemblée se divisa en deux partis, l’un tout disposé à accueillir la nouvelle loi, l’autre bien résolu à défendre l’ancien culte. Dans cet état de crise, on allait, comme de coutume, résoudre la question par un combat, on allait s’entretuer pour savoir qui l’on devait adorer, du Christ ou d’Odin. Un Islandais, plus sage que les autres, demanda si l’on ne pourrait pas suspendre encore les hostilités, et faire trancher la difficulté par des arbitres. Sa proposition fut écoutée, et chaque parti nomma ses juges. Mais les missionnaires catholiques gagnèrent pour trois marcs d’argent Thorgeir, le plus influent et le plus intraitable païen. Le lendemain, Thorgeir s’avança au milieu de la foule, et après avoir cherché à démontrer combien ces divisions de parti portaient de préjudice à la république, il s’écria : « Vous tous qui m’écoutez, accepterez-vous la religion que je vais proposer ? » Les païens, qui le regardaient comme le plus intrépide défenseur de leur croyance, répondirent qu’ils l’accepteraient, et les chrétiens, qui étaient dans le secret de la transaction faite avec lui, répondirent de même. Alors Thorgeir proclama la religion chrétienne, et, malgré les cris d’étonnement et les plaintes de ses anciens partisans, elle fut adoptée.

De cette époque date pour l’Islande une nouvelle ère de science et de poésie. Elle eut des écoles, des prêtres instruits, des voyageurs célèbres, mais elle n’eut pas le repos. Ni la loi politique ni la loi religieuse ne pouvaient dompter l’ambition de ses principales familles. Au commencement du xie siècle, une nouvelle guerre s’allume entre elles, plus longue, plus terrible, plus acharnée que jamais. On vit alors des chefs de parti s’en aller au Thing avec une troupe de treize cents hommes. Ils traversaient le pays comme un fléau, tantôt longeant les côtes avec leurs navires, tantôt s’avançant au milieu des habitations à main armée, et se frayant leur route par le meurtre et l’incendie. Quand ils se rencontraient, ce n’était plus comme autrefois des escarmouches d’un moment ; c’étaient des batailles sanglantes qui duraient tout un jour, et souvent recommençaient le lendemain. Quelquefois ils se trompaient l’un l’autre par une paix si-