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sieurs ont des femmes ou des enfans malades, qui consument ce peu d’argent qu’ils gagnent avec tant de peine !

Mais tous sourient à ce beau temps inespéré des jours avancés de l’automne ; leurs conversations, plus animées que de coutume, renferment, entre autres, une phrase que j’entends depuis quelques jours avec un attendrissement inexprimable ; elle est répétée, commentée sur tous les tons, de toutes les manières, avec des inflexions de voix qui me vont à l’ame :

« Quel beau temps pour nos blés ! — Précieux temps ! — Monsieur, voilà un bien beau temps pour nos blés ! »

Pauvres gens ! ils m’émeuvent et m’instruisent profondément.

En les regardant, en les écoutant, je suis arrivé à goûter une indicible joie, rien qu’à voir rayonner ce beau et doux soleil sur un arbre que j’ai planté, et à trouver le strict nécessaire proprement servi sur ma table ; rien qu’à jouir du silence, de la retraite, la lecture, ou d’une innocente occupation ; et je m’écrie vingt fois le jour, comme les Pères des déserts « Seigneur, c’est assez ! je mourrai de douceur si vous ne modérez ma joie. » Mais eux disaient cela après avoir bu de l’eau du désert et mangé des racines ; il est vrai que c’était aussi après avoir prié. — Nourriture céleste et abondante qui donne à tout une exquise saveur ! — Comme cet ordre de pensées et ce genre de vie calment et réparent l’ame ! Que le silence de ces bois dépouillés, mais tranquilles sous le soleil d’automne, est pénétrant et instructif ? Que de tableaux attachans, fertiles pour l’ame en sainte espérance, et en confiance infinie aux bontés de Dieu !

Les jours les plus rians de la belle saison, tout splendides qu’ils sont de fleurs ou de fruits, n’ont pas ce charme des jours de labeur protégés par des temps clémens et favorables. Le travail de l’homme, s’unissant aux soins de la Providence, a quelque chose de saint, d’attendrissant, qui ne saurait se rendre.

Dans les beaux jours, tout est bien ; mais on oublie souvent comment cela est venu ; le mot de nature semble exprimer tout ; mais, aux jours mêlés de l’automne, on voit avec reconnaissance et un intérêt qui améliore le cœur, ce qu’il en coûte à l’homme pour rendre la terre riante et féconde. Rien n’élève et n’ennoblit davantage. C’est là aussi une union sainte avec Dieu.