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REVUE LITTÉRAIRE.

d’un homme de talent. N’est-ce pas un tour de force un peu périlleux qu’a voulu faire le romancier en choisissant pour héroïne cette Picciola ? Qu’est-ce que Picciola ? Vous vous imaginez peut-être une jeune fille svelte, alerte, aux yeux noirs, à la chevelure brune, une sorte de Fenella très animée et très dansante, au moins, si elle est muette. Vous n’y êtes pas. Mais je ne vous le donnerai ni en dix, ni en vingt, ni en cent, comme Mme de Sévigné. En mille, vous ne devineriez point. Picciola, ce n’est pas même une biche des bois, ni un oiseau de l’air. Je vous l’affirme, c’est une plante, une petite plante. Et quelle plante ? On suppose que c’est une giroflée ; on le suppose seulement ; on n’en est pas sûr. Les botanistes n’ont pas encore découvert au juste de quelle famille végétale est issue l’héroïne de M. Saintine.

Mais vous attendez le récit des aventures de Picciola. Écoutez donc. Charney, athée libéral assez pareil au d’Olbreuse de Mme Sophie Pannier, avait été enfermé dans la forteresse de Fenestrelle pour crime de conspiration. C’est un jour en se promenant par le préau de son donjon qu’il aperçoit Picciola qui venait de naître et levait bravement la tête entre deux pavés. Dès cette première entrevue, le conspirateur s’éprend d’une vive affection pour Picciola. Ce sentiment grandit à vue d’œil comme la plante ; le plus beau de l’histoire, c’est qu’il sera mutuel. La frêle Picciola n’était guère en sûreté au milieu du préau. Le pied d’un soldat pouvait l’écraser, le froid des nuits geler sa tige. Charney la garantira de ce double péril. Il bâtit autour d’elle une petite tente garnie de paillassons qui doit la protéger. Sur ces entrefaites le prisonnier tombe malade. Les médecins l’ont abandonné. Le sensible geôlier (M. Saintine ne pouvait mettre qu’un geôlier sensible dans cette histoire excessivement sentimentale), le sensible geôlier s’avise de couper une douzaine de feuilles de Picciola et d’en faire boire l’infusion au mourant. Merveilleuse infusion ! Picciola n’a pas négligé l’occasion de prouver sa reconnaissance à son protecteur. La tisane qu’elle fournit lui sauve la vie. Cependant à peine Charney est-il convalescent, voilà Picciola qui languit à son tour, triste et maladive. La cause de son dépérissement ne tarde pas à se découvrir. Pauvre Picciola ! C’est une large blessure qu’ont faite à sa tige les deux pavés entre lesquels elle a grossi. Il ne s’agirait que d’en enlever un pour la guérir. Mais on ne dépave pas d’emblée une cour de prison. Tout sensible qu’il est, le geôlier ne souffrirait point qu’on déplaçât un des grains de sable du préau. Quel parti prendre ? Il n’y en a point d’autre que de s’adresser à l’empereur Napoléon. Une pétition lui expliquera que Picciola est à l’agonie et qu’il y a péril en sa demeure. Reste une difficulté ! Qui portera la pétition ? Patientez. Ce sera une sous-héroïne de chair et d’os, gardée jusqu’à présent en réserve par M.  Sain-