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MAUPRAT.

tion livraient à l’impuissance de ses formules ; tout autre que lui n’eût pu s’en tirer avec honneur ; et je vous assure que pour qui songeait à quelque chose de plus sérieux qu’à rire de ses solécismes et de ses hardiesses, il y avait dans cet homme matière aux plus importantes observations sur le développement de l’esprit humain, et à la plus tendre admiration pour la beauté morale primitive.

À l’époque où je compris entièrement Patience, j’avais un lien sympathique avec lui dans ma destinée exceptionnelle. Comme lui, j’avais été inculte ; comme lui, j’avais cherché au dehors l’explication de mon être, comme on cherche le mot d’une énigme. Grâce aux circonstances fortuites de la naissance et de la richesse, j’étais arrivé à un développement complet, tandis que Patience se débattit jusqu’à la mort dans les ténèbres d’une ignorance dont il ne voulait ni ne pouvait sortir ; mais ce ne fut pour moi qu’un sujet de plus de reconnaître la supériorité de cette organisation puissante, qui se dirigeait plus hardiment, à l’aide de faibles lueurs instinctives, que moi à la clarté de tous les flambeaux de la science, et qui n’avait pas eu d’ailleurs un seul mauvais penchant à vaincre, tandis que je les avais eus tous.

Mais à l’époque dont j’ai à poursuivre le récit, Patience n’était, à mes yeux, qu’un personnage grotesque, objet d’amusement pour Edmée, et de compassion charitable pour l’abbé Aubert. Lorsqu’ils me parlaient de lui d’un ton sérieux, je ne les comprenais plus, et je m’imaginais qu’ils prenaient ce sujet comme une sorte de texte parabolique, pour me démontrer les avantages de l’éducation, la nécessité de s’y prendre de bonne heure, et les regrets inutiles des vieilles années.

J’allais rôder cependant dans les taillis dont sa nouvelle demeure était entourée, parce que j’avais vu Edmée s’y rendre à travers le parc, et que j’espérais obtenir, par surprise, un tête-à-tête avec elle, au retour. Mais elle était toujours accompagnée de l’abbé, quelquefois même de son père, et si elle restait seule avec le vieux paysan, il l’escortait ensuite jusqu’au château. Souvent, caché dans les touffes d’un if monstrueux, qui étendait ses nombreux rejets et ses branches pendantes à quelques pas de cette chaumière, je vis Edmée assise au seuil, un livre à la main. Tandis que Patience l’écoutait les bras croisés, la tête courbée sur la