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toujours prêt à laver la souillure de mon amour ! Je fus si effrayé du danger que j’avais couru de la voir expirer dans mes bras, si consterné de l’outrage que je lui avais fait en espérant vaincre sa résistance, que je cherchai tous les moyens extrêmes de réparer mes torts et de lui rendre le repos.

Le seul qui parut au-dessus de mes forces fut de m’éloigner ; car, en même temps que le sentiment de l’estime et du respect se révélait à moi, mon amour, changeant pour ainsi dire de nature, grandissait dans mon ame, et s’emparait de mon être tout entier. Edmée m’apparaissait sous un nouvel aspect. Ce n’était plus cette belle fille dont la présence jetait le désordre dans mes sens, c’était un jeune homme de mon âge, beau comme un séraphin, fier, courageux, inflexible sur le point d’honneur, généreux, capable de cette amitié sublime qui faisait les frères d’armes, mais n’ayant d’amour passionné que pour la Divinité, comme ces paladins qui, à travers mille épreuves, marchaient à la Terre-Sainte sous une armure d’or.

Je sentis, dès ce moment, mon amour descendre des orages du cerveau dans les saines régions du cœur ; et le dévouement ne me parut plus une énigme. Je résolus de faire, dès le lendemain, acte de soumission et de tendresse. Je rentrai fort tard, accablé de lassitude, mourant de faim, brisé d’émotions. J’entrai dans l’office, je pris un morceau de pain, et je le mangeai trempé de mes larmes. J’étais appuyé contre le poêle éteint, à la lueur mourante d’une lampe épuisée ; Edmée entra sans me voir, prit quelques cerises dans le bahut, et s’approcha lentement du poêle : elle était pâle et absorbée. En me voyant, elle jeta un cri, et laissa tomber ses cerises. — Edmée, lui dis-je, je vous supplie de n’avoir plus jamais peur de moi ; c’est tout ce que je puis vous dire, car je ne sais pas m’expliquer ; et pourtant j’avais résolu de vous dire bien des choses.

— Vous me direz cela une autre fois, mon bon cousin, me répondit-elle en essayant de me sourire ; mais elle ne pouvait dissimuler la peur qu’elle éprouvait en se trouvant seule avec moi. Je n’essayai pas de la retenir ; je ressentais vivement la douleur et l’humiliation de sa méfiance, et je n’avais pas le droit de m’en plaindre ; cependant jamais homme n’avait eu autant besoin d’être compris et encouragé.