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MAUPRAT.

et pourtant je perds, en apprenant cette indifférence, le dernier espoir que j’eusse conservé de vous voir échapper à Bernard Mauprat. — Allons, ami, ne vous désolez point : ou Bernard sera sensible à l’amitié et à la loyauté, et il s’amendera, ou je lui échapperai. — Mais par quelle issue ? — Par la porte du couvent, ou par celle du cimetière.

En parlant ainsi d’un air calme, Edmée secoua sa longue chevelure noire, qui s’était déroulée sur ses épaules, et dont une partie couvrait son visage pâle. — Allons, dit-elle. Dieu viendra à notre aide ; c’est folie et impiété que de douter de lui dans le danger. Sommes-nous donc des athées pour nous décourager ainsi ? Allons voir Patience, il nous dira quelque sentence qui nous rassurera ; il est le vieux oracle qui résout toutes choses sans en savoir aucune.

Ils s’éloignèrent, et je demeurai consterné.

Oh ! combien cette nuit fut différente de la précédente ! Quel nouveau pas je venais de faire dans la vie, non plus sur le sentier fleuri, mais sur le roc aride ! Maintenant je connaissais tout l’odieux réel de mon rôle, et je venais de lire jusqu’au fond du cœur d’Edmée la crainte et le dégoût que je lui inspirais. Rien ne pouvait calmer ma douleur, car rien ne pouvait plus exciter ma colère. Elle n’aimait point M. de La Marche, elle ne se jouait ni de lui ni de moi ; elle n’aimait aucun de nous, et comment avais-je pu croire que cette pitié généreuse envers moi, ce dévouement sublime à la foi jurée, fussent de l’amour ? Comment, aux heures où cette présomptueuse chimère m’abandonnait, pouvais-je croire qu’elle eût besoin, pour résister à ma passion, d’avoir de l’amour pour un autre ? Enfin, je n’avais donc plus de ressource contre mes propres fureurs ! Je ne pouvais en obtenir autre chose que la fuite ou la mort d’Edmée ! Sa mort ! À cette idée, mon sang se glaçait dans mes veines, mon cœur se serrait, et je sentais tous les aiguillons du repentir le traverser. Cette douloureuse soirée fut pour moi le plus énergique appel de la Providence. Je compris enfin ces lois de la pudeur et de la liberté sainte que mon ignorance avait outragées et blasphémées jusque-là. Elles m’étonnaient plus que jamais, mais je les voyais ; elles étaient prouvées par leur évidence. L’ame forte et sincère d’Edmée était devant moi comme la pierre du Sinaï, où le doigt de Dieu venait de tracer la vérité immuable. Sa vertu n’était pas feinte, son couteau était aiguisé et