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MAUPRAT.

indirectement durant les soirs d’hiver. J’étonnai de nouveau l’abbé par mon aptitude et la rapidité de mes triomphes. Les soins qu’il avait eus de moi dans ma maladie m’avaient désarmé, et quoique je ne pusse encore l’aimer cordialement, sachant bien qu’il ne me servait pas auprès de ma cousine, je lui témoignai beaucoup plus de confiance et d’égards que par le passé. Ses longs entretiens me furent aussi utiles que mes lectures ; on m’associa aux promenades du parc et aux visites philosophiques à la cabane couverte de neige de Patience. Ce fut un moyen de voir Edmée plus souvent et plus long-temps. Ma conduite fut telle que toute sa méfiance se dissipa et qu’elle ne craignit plus de se trouver seule avec moi. Mais je n’eus guère l’occasion de prouver là mon héroïsme ; car l’abbé, dont rien ne pouvait endormir la prudence, était toujours sur nos talons. Je ne souffrais plus de cette surveillance ; au contraire, elle me satisfaisait, car, malgré toutes mes résolutions, l’orage bouleversait mes sens dans le mystère ; et une fois ou deux, m’étant trouvé en tête-à-tête avec Edmée, je la quittai brusquement et la laissai seule, pour lui cacher mon trouble.

Notre vie était donc tranquille et douce en apparence, et pendant quelque temps elle le fut en effet ; mais bientôt je la troublai plus que jamais par un vice que l’éducation développa en moi, et qui jusque-là était resté enfoui sous des vices plus choquans, mais moins funestes ; ce vice, qui fit le désespoir de mes nouvelles années, fut la vanité.

Malgré leurs systèmes, l’abbé et ma cousine commirent la faute de me savoir trop de gré de mes progrès. Ils s’étaient si peu attendus à ma persévérance, qu’ils en firent tout l’honneur à mes hautes facultés. Peut-être aussi y eut-il de leur part un peu de triomphe personnel à voir avec exagération le succès de leurs idées philosophiques appliquées à mon développement. Ce qu’il y a de certain, c’est que je me laissai facilement persuader que j’avais une haute intelligence et que j’étais un homme très au-dessus du commun. Bientôt mes chers instituteurs recueillirent le triste fruit de leur imprudence, et déjà il était trop tard pour arrêter l’essor de cet amour démesuré de moi-même.

Peut-être aussi cette passion funeste, comprimée par les mauvais traitemens que j’avais subis dans mon enfance, ne fit-elle que se réveiller. Il est à croire que nous portons en nous, dès nos