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premiers ans, le germe des vertus et des vices que l’action de la vie extérieure féconde avec le temps. Quant à moi, je n’avais pas encore trouvé d’alimens à ma vanité ; car de quoi aurais-je pu me pavaner dans les premiers jours que je passai auprès d’Edmée ? Mais dès que cet aliment fut trouvé, la vanité souffrante se leva dans son triomphe, et m’inspira autant de présomption qu’elle m’avait suggéré de mauvaise honte et de farouche retenue. J’étais en outre aussi charmé de pouvoir enfin communiquer facilement ma pensée, que le jeune faucon qui sort du nid, et essaie ses ailes nouvellement poussées. Je devins donc aussi bavard que j’avais été silencieux. On se plut trop à mon babil. Je n’eus pas le bon sens de voir qu’on l’écoutait comme celui d’un enfant gâté ; je me crus un homme, et, qui plus est, un homme remarquable. Je devins outrecuidant et souverainement ridicule.

Mon oncle le chevalier, qui ne s’était point mêlé de mon éducation, et qui avait seulement souri avec une bonté paternelle à mes premiers pas dans la carrière, fut le premier aussi qui s’aperçut de la fausse voie où je m’engageais. Il trouva déplacé que j’élevasse le ton aussi haut avec lui, et en fit la remarque à sa fille. Elle m’avertit avec douceur, et me dit, pour me faire supporter ses remontrances, que j’avais raison dans la discussion, mais que son père n’était pas d’âge à être converti aux idées nouvelles, et que je devais à sa dignité patriarcale le sacrifice de mes assertions enthousiastes. Je promis de ne plus recommencer ; mais je ne tins pas parole.

Le fait est que le chevalier était imbu de beaucoup de préjugés. Il avait reçu une très bonne éducation pour son temps, et pour un noble campagnard ; mais le siècle avait marché plus vite que lui. Edmée, ardente et romanesque ; l’abbé, sentimental et systématique, avaient marché plus vite encore que le siècle ; et si l’immense désaccord qui se trouvait entre eux et le patriarche ne se faisait guère sentir, c’était grâce au respect qu’il inspirait à juste titre, et à la tendresse qu’il avait pour sa fille. Je me jetai à plein collier, comme vous pouvez croire, dans les idées d’Edmée ; mais je n’eus pas, comme elle, la délicatesse de me taire à point. La violence de mon caractère trouvant une issue dans la politique et dans la philosophie, je goûtais un plaisir indicible à ces orageuses disputes qui préludaient alors en France, dans toutes les réunions