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un huissier criait à la porte de la salle : Si quelqu’un veut défendre l’ordre de la milice du Temple, il n’a qu’à se présenter. Mais personne ne se présentait. La commission revenait le lendemain, toujours inutilement.

Enfin, le pape ayant, par une bulle (13 septembre 1309), ouvert l’instruction du procès contre Boniface, le roi permit, en novembre, que le grand-maître du Temple fût amené devant les commissaires[1]. Le vieux chevalier montra d’abord beaucoup de fermeté. Il dit que l’ordre était privilégié du saint-siége, et qu’il lui semblait bien étonnant que l’église romaine voulût procéder subitement à sa destruction, lorsqu’elle avait sursis à la déposition de l’empereur Frédéric II pendant trente-deux ans.

Il dit encore qu’il était prêt à défendre l’ordre, selon son pouvoir ; qu’il se regarderait lui-même comme un misérable, s’il ne défendait un ordre dont il avait reçu tant d’honneur et d’avantage ; mais qu’il craignait de n’avoir pas assez de sagesse et de réflexion, qu’il était prisonnier du roi et du pape, qu’il n’avait pas quatre deniers à dépenser pour la défense, pas d’autre conseil qu’un frère servant ; qu’au reste, la vérité paraîtrait, non-seulement par le témoignage des templiers, mais par celui des rois, princes, prélats, ducs, comtes et barons, dans toutes les parties du monde.

Si le grand-maître se portait ainsi pour défenseur de l’ordre, il allait prêter une grande force à la défense, et sans doute compromettre le roi. Les commissaires l’engagèrent à délibérer mûrement. Ils lui firent lire sa déposition devant les cardinaux. Cette déposition n’émanait pas directement de lui-même ; par pudeur ou pour tout autre motif, il avait renvoyé les cardinaux à un frère

  1. Le même jour, avant lui, le 22 novembre, se présenta devant les évêques un homme en habit séculier, lequel déclara s’appeler Jean de Melot (et non Molay, comme disent Raynouard et Dupuy), avoir été templier dix ans, et avoir quitté l’ordre, quoique, disait-il, il n’y eût vu aucun mal. Il déclarait venir pour faire et dire tout ce qu’on voudrait. Les commissaires lui demandèrent s’il voulait défendre l’ordre, qu’ils étaient prêts à l’entendre bénignement. Il répondit qu’il n’était venu pour autre chose, mais qu’il voudrait bien savoir auparavant ce qu’on voulait faire de l’ordre. Et il ajoutait : « Ordonnez de moi ce que vous voudrez ; mais faites-moi donner mes nécessités, car je suis bien pauvre. » — Les commissaires, voyant à sa figure, à ses gestes et ses paroles que c’était un homme simple et un esprit faible, ne procédèrent pas plus avant, mais le renvoyèrent à l’évêque de Paris, qui, disaient-ils, l’accueillerait avec bonté et lui ferait donner de la nourriture. (Process. ms., folio 8.)