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LES TEMPLIERS.

aux autres ordres, mais les individus furent ménagés. Le traitement le plus sévère qu’ils éprouvèrent fut d’être emprisonnés dans des monastères, souvent dans leurs propres couvens. C’est l’unique peine à laquelle on condamna, en Angleterre, les chefs de l’ordre qui s’obstinaient à nier.

Les templiers furent condamnés en Lombardie et en Toscane, justifiés à Ravenne et à Bologne[1]. En Castille, on les jugea innocens. Ceux d’Aragon, qui avaient des places fortes, s’y jetèrent et firent résistance, principalement dans leur fameux fort de Monçon. Le roi d’Aragon emporta ces forts, et ils n’en furent pas plus maltraités. On créa l’ordre de Monteza, où ils entrèrent en foule. En Portugal, ils recrutèrent les ordres d’Avis et du Christ. Ce n’était pas dans l’Espagne, en face des Maures, sur la terre classique de la croisade, qu’on pouvait songer à proscrire les vieux défenseurs de la chrétienté.

La conduite des autres princes à l’égard des templiers faisait la satire de Philippe-le-Bel. Le pape blâma cette douceur ; il reprocha aux rois d’Angleterre, de Castille, d’Aragon et de Portugal, de n’avoir pas employé les tortures. Philippe l’avait endurci, soit en lui donnant part aux dépouilles, soit en lui abandonnant le jugement de Boniface. Le roi de France s’était décidé à céder quelque peu sur ce dernier point. Il voyait tout remuer autour de lui. Les états sur lesquels il étendait son influence semblaient près d’y échapper. Les barons anglais voulaient renverser le gouvernement des favoris d’Édouard II, qui les tenait humiliés devant la France. Les gibelins d’Italie appelaient le nouvel empereur, Henri de Luxembourg, pour détrôner le petit-fils de Charles d’Anjou, le roi Robert, grand clerc et pauvre roi, qui n’était habile qu’en astrologie. La maison de France risquait de perdre son ascendant dans la chrétienté. L’Empire, qu’on avait cru mort, menaçait de revivre. Dominé par ces craintes, Philippe permit à Clément de déclarer que Boniface n’était point hérétique[2], en assurant toutefois que

  1. Mayence, 1er juillet ; Ravenne, 17 juin ; Salamanque, 21 octobre 1310. Les templiers d’Allemagne se justifièrent à la manière des francs-juges westphaliens. Ils se présentèrent en armes par-devant les archevêques de Mayence et de Trèves, affirmèrent leur innocence, tournèrent le dos au tribunal, et s’en allèrent paisiblement.
  2. Cette timide et incomplète réparation ne semble pas suffisante à Villani. Il ajoute, sans doute pour rendre la chose plus dramatique et plus honteuse aux Français, que