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MAUPRAT.

ceur extérieure jointe à une volonté inébranlable, me citant pour exemple et le bien et le mal, dans l’histoire des hommes, surtout la douceur des apôtres, et l’hypocrisie des prêtres de toutes les religions, il me vint à l’esprit de lui demander, si, avec la fougue de mon sang et l’emportement de mon caractère, je pourrais jamais exercer une influence quelconque sur mes proches. En me servant de ce dernier mot, je ne songeais qu’à Edmée. Arthur me répondit que j’aurais un autre ascendant que celui de la douceur acquise, ce sera, dit-il, celui de la bonté naturelle. La chaleur de l’ame, l’ardeur et la persévérance de l’affection, voilà ce qu’il faut dans la vie de famille, et ces qualités font aimer nos défauts à ceux-là même qui habituellement en souffrent le plus. Nous devons tâcher de nous vaincre par amour pour ceux qui nous aiment ; mais se proposer un système de modération dans le sein de l’amour ou de l’amitié, serait, je pense, une recherche puérile, un travail égoïste, et qui tuerait l’affection en nous-mêmes d’abord, et bientôt après dans les autres. Je ne vous parlais de modération réfléchie que dans l’application de l’autorité sur les masses. Or, si vous avez jamais l’ambition…

— Or, vous croyez, lui dis-je, sans écouter la dernière partie de son discours, que tel que vous me connaissez, je puis rendre une femme heureuse et me faire aimer d’elle, malgré tous mes défauts et les torts qu’ils entraînent ?

— Ô cervelle amoureuse ! s’écria-t-il, qu’il est difficile de vous distraire !… Eh bien, si vous le voulez, Bernard, je vous dirai ce que je pense de vos amours. La personne que vous aimez si ardemment, vous aime, à moins qu’elle ne soit incapable d’aimer ou tout-à-fait dépourvue de sens.

Je lui assurai qu’elle était autant au-dessus de toutes les autres femmes que le lion est au-dessus de l’écureuil, le cèdre au-dessus de l’hysope, et à force de métaphores, je réussis à le convaincre. Alors il m’engagea à lui confier quelques détails, afin, disait-il, qu’il pût juger ma position à l’égard d’Edmée. Je lui ouvris mon cœur sans réserve, et lui racontai mon histoire d’un bout à l’autre. Nous étions alors sur la lisière d’une belle forêt vierge, aux derniers rayons du couchant. Le parc de Sainte-Sévère, avec ses beaux chênes seigneuriaux qui n’avaient jamais subi l’outrage de