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la cognée, se représentait à ma pensée, pendant que je regardais les arbres du désert affranchis de toute culture, s’épanouissant dans leur force et dans leur grace primitive au-dessus de nos têtes. L’horizon brûlant me rappelait les visites du soir à la cabane de Patience, Edmée assise sous les pampres dorés ; et le chant des perruches allègres me retraçait celui des beaux oiseaux exotiques qu’elle élevait dans sa chambre. Je pleurai en songeant à l’éloignement de ma patrie, au large Océan qui nous séparait et qui a englouti tant de pélerins au moment où ils saluaient la rive natale. Je pensai aussi aux chances de la fortune, aux dangers de la guerre, et, pour la première fois, j’eus peur de mourir ; car mon cher Arthur, serrant ma main dans les siennes, m’assurait que j’étais aimé, et qu’il voyait une nouvelle preuve d’affection dans chaque trait de rigueur et de méfiance. Enfant, me disait-il, si elle ne voulait pas t’épouser, ne vois-tu pas qu’elle aurait eu cent manières de se débarrasser à jamais de tes prétentions ? Et si elle n’avait pour toi une tendresse inépuisable, se serait-elle donné tant de peines et imposé tant de sacrifices pour te tirer de l’abjection où elle t’avait trouvé et pour te rendre digne d’elle ? Eh bien ! toi qui ne rêves qu’aux antiques prouesses de la chevalerie errante, ne vois-tu pas que tu es un noble preux, condamné par ta dame à de rudes épreuves pour avoir manqué aux lois de la galanterie, en réclamant d’un ton impérieux l’amour qu’on doit implorer à genoux ?

Il entrait alors dans un examen détaillé de mes crimes, et trouvait les châtimens rudes, mais justes ; il discutait ensuite les probabilités de l’avenir, et me donnait l’excellent conseil de me soumettre jusqu’à ce qu’on jugeât à propos de m’absoudre.

— Mais, lui disais-je, n’est-ce point une honte, qu’un homme mûri, comme je le suis maintenant, par la réflexion et rudement éprouvé par la guerre, se soumette comme un enfant au caprice d’une femme ?

— Non, me répondait Arthur, ce n’est point une honte, et la conduite de cette femme n’est point dictée par le caprice. Il n’y a que de l’honneur à réparer le mal qu’on a fait, et combien peu d’hommes en sont capables ! Il n’y a que justice dans la pudeur offensée qui réclame ses droits et son indépendance naturelle.