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l’Oreste de Marcasse. Marcasse ne comprenait pas toujours Patience ; mais Patience était le seul qui comprît parfaitement Marcasse et qui sût tout ce qu’il y avait d’honnêteté chevaleresque et de bravoure exaltée sous cette bizarre enveloppe. Prosterné devant la supériorité intellectuelle du solitaire, le chasseur de belettes s’arrêtait respectueusement, lorsque la verve poétique, s’emparant de Patience, devenait inintelligible pour son modeste ami. Alors Marcasse, avec une touchante douceur et s’abstenant de questions ou de remarques déplacées, baissait les yeux, et faisant signe de la tête de temps à autre, comme s’il eût compris et approuvé, donnait du moins à son ami l’innocent plaisir d’être écouté sans contradiction.

Cependant Marcasse en avait compris assez pour embrasser les idées républicaines et pour partager les romanesques espérances de nivellement universel et de retour à l’égalité de l’âge d’or que nourrissait ardemment le bonhomme Patience. Ayant plusieurs fois ouï dire à son ami qu’il fallait cultiver ces doctrines avec prudence (précepte que d’ailleurs Patience n’observait guère pour son propre compte), l’hidalgo, puissamment aidé par son habitude et son penchant, ne parlait jamais de sa philosophie ; mais il faisait une propagande plus efficace, en colportant du château à la chaumière et de la maison bourgeoise à la ferme ces petites éditions à bon marché de la Science du bonhomme Richard, et d’autres menus traités de patriotisme populaire, que, selon la société jésuitique, une société secrète de philosophes voltairiens, voués aux pratiques diaboliques de la franc-maçonnerie, faisait circuler gratis dans les basses classes.

Il y avait donc autant d’enthousiasme révolutionnaire que d’amour pour les aventures dans la subite résolution de Marcasse. Depuis long-temps le loir et la fouine lui paraissaient des ennemis trop faibles, et l’aire aux grains un champ trop resserré pour sa valeur inquiète. Il lisait chaque jour les journaux de la veille dans l’office des bonnes maisons qu’il parcourait, et cette guerre d’Amérique, qu’on signalait comme le réveil de la justice et de la liberté dans l’univers, lui avait semblé devoir amener une révolution en France. Il est vrai qu’il prenait au pied de la lettre cette influence des idées qui devait traverser les mers et venir s’emparer des esprits sur notre continent. Il voyait en rêve une armée