Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/363

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
353
MAUPRAT.

d’Américains victorieux descendant de nombreux vaisseaux et apportant l’olivier de paix et la corne d’abondance à la nation française, Il se voyait dans ce même rêve commandant une légion héroïque, et reparaissant dans La Varenne, guerrier, législateur, émule de Washington, supprimant les abus, renversant les grandes fortunes, dotant chaque prolétaire d’une portion convenable, et, au milieu de ces vastes et rigoureuses mesures, protégeant les bons et loyaux nobles, et leur conservant une existence honorable. Il est inutile de dire que les nécessités douloureuses des grandes crises politiques n’entraient point dans l’esprit de Marcasse, et que pas une goutte de sang répandu ne venait souiller le romanesque tableau que Patience déroulait devant ses yeux.

Il y avait loin de ces espérances gigantesques au métier de valet de chambre de M. de La Marche ; mais Marcasse n’avait pas d’autre chemin pour arriver à son but. Les cadres du corps d’armée destiné pour l’Amérique étaient remplis depuis long-temps, et ce n’était qu’en qualité de passager attaché à l’expédition qu’il pouvait prendre place sur un bâtiment marchand à la suite de l’escadre. Il avait questionné l’abbé sur tout cela sans lui dire son projet. Son départ fut un coup de théâtre pour tous les habitans de la Varenne.

À peine eut-il mis le pied sur le rivage de l’Union, qu’il sentit le besoin irrésistible de prendre son grand chapeau et sa grande épée, et d’aller tout seul devant lui à travers bois, comme il avait coutume de faire dans son pays ; mais sa conscience lui défendait de quitter son maître après avoir contracté l’engagement de le servir. Il avait compté sur la fortune, et la fortune le seconda. La guerre étant beaucoup plus meurtrière et plus active qu’on ne s’y était attendu, M. de La Marche craignit à tort d’être embarrassé par la santé débile de son maigre écuyer. Pressentant d’ailleurs son désir de liberté, il lui offrit une somme d’argent et des lettres de recommandation pour qu’il pût se joindre comme volontaire aux troupes américaines. Marcasse, sachant la fortune de son maître, refusa l’argent, n’accepta qu’un mince salaire et des recommandations, et partit, léger comme la plus agile des belettes qu’il eût jamais occises.

Son intention était de se rendre à Philadelphie ; mais un hasard