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MAUPRAT.

soins ; et, lorsque de mauvais sujets s’adressaient à elle, elle aimait mieux être leur dupe que de se tromper au détriment de la charité. De cette manière, elle dépensait beaucoup d’argent, et faisait peu de bien. Je lui fis alors entendre que l’argent était la chose la moins nécessaire aux nécessiteux ; que ce qui rendait les hommes vraiment malheureux, ce n’était pas de ne pouvoir se vêtir mieux que les autres, aller au cabaret le dimanche, étaler à la grand’messe un bas bien blanc avec une jarretière rouge sur le genou, de ne pouvoir dire : Ma jument, ma vache, ma vigne, mon grenier, etc. ; mais bien d’avoir le corps faible et la saison dure, de ne pouvoir se préserver du froid, du chaud, des maladies, de la grand’soif et de la grand’faim. Je lui dis donc de ne pas juger de la force et de la santé des paysans d’après moi, mais d’aller s’informer elle-même de leurs maladies et de ce qui manquait à leur ménage. Ces gens-là ne sont pas philosophes, ils ont de la vanité, ils aiment la braverie, mangent le peu qu’ils gagnent pour paraître, et n’ont pas la prévoyance de se priver d’un petit plaisir pour mettre en réserve une ressource contre les grands besoins. Enfin, ils ne savent pas gouverner l’argent, ils vous disent qu’ils ont des dettes ; et s’il est vrai qu’ils en aient, il n’est pas vrai qu’ils emploient à les payer l’argent que vous leur donnez. Ils ne songent pas au lendemain, ils paient l’intérêt aussi haut qu’on veut le leur faire payer, et ils achètent avec votre argent une chenevière ou un mobilier, afin que les voisins s’étonnent et soient jaloux. Cependant les dettes augmentent tous les ans, et au bout du compte, il faut vendre chenevière et mobilier, parce que le créancier, qui est toujours un d’entre eux, veut son remboursement ou de tels intérêts, qu’on ne peut y suffire. Tout s’en va, le fonds emporte le fonds ; les intérêts ont emporté le revenu ; on est vieux, on ne peut plus travailler. Les enfans vous abandonnent, parce que vous les avez mal élevés et qu’ils ont les mêmes passions et les même vanités que vous ; il vous faut prendre une besace et aller de porte en porte demander du pain, parce que vous êtes habitué au pain et ne sauriez, sans mourir, manger des racines comme le sorcier Patience, rebut de la nature, que tout le monde hait et méprise, parce qu’il ne s’est pas fait mendiant. Le mendiant, au reste, n’est guère plus malheureux que le journalier, moins peut-être. Il n’a plus ni bonne ni sotte fierté, il ne