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moi-même, j’étais enchaîné par la peur. Son regard me pétrifiait, ma langue était paralysée. Blaireau s’élança sur lui ; alors il agita les plis de son lugubre vêtement, semblable à un linceul souillé de l’humidité du sépulcre, et je m’évanouis.

Lorsque je revins à moi-même, Marcasse était auprès de moi et me relevait avec inquiétude. J’étais étendu à terre et raide comme un cadavre. J’eus beaucoup de peine à rassembler mes idées ; mais aussitôt que je pus me tenir sur mes jambes, je saisis Marcasse par le corps et je l’entraînai précipitamment hors de la chambre maudite. Je faillis tomber plusieurs fois en descendant l’escalier à vis, et ce ne fut qu’en respirant dans la cour l’air du soir et la saine odeur des étables, que je recouvrai l’usage de ma raison.

Je n’hésitai pas à attribuer ce qui venait de se passer à une hallucination de mon cerveau. J’avais fait mes preuves de courage à la guerre, en présence de mon brave sergent ; je ne rougissais pas devant lui d’avouer la vérité. Je répondis sincèrement à ses questions, et je lui peignis mon horrible vision avec de tels détails, qu’il en fut frappé à son tour comme d’une chose réelle, et répéta plusieurs fois, d’un air pensif, en se promenant avec moi dans la cour : — Singulier, singulier !… étonnant !

— Non, cela n’est pas étonnant, lui dis-je, quand je me sentis tout-à-fait remis. J’ai éprouvé la sensation la plus douloureuse en venant ici ; depuis plusieurs jours, je luttais pour surmonter la répugnance que j’éprouvais à revoir la Roche-Mauprat. J’ai eu le cauchemar la nuit dernière, et j’étais si fatigué et si triste en m’éveillant, que si je n’eusse craint de montrer de la mauvaise volonté à mon oncle, j’aurais encore différé ce voyage désagréable. En entrant ici, j’ai senti le froid me gagner ; ma poitrine était oppressée, je ne respirais pas. Peut-être aussi l’acre fumée dont la chambre était remplie m’a-t-elle troublé le cerveau. Enfin, après les fatigues et les périls de notre malheureuse traversée, dont nous sommes à peine remis l’un et l’autre, est-il étonnant que j’aie éprouvé une crise nerveuse à la première émotion pénible ?

— Dites-moi, reprit Marcasse toujours pensif, avez-vous remarqué Blaireau dans ce moment-là ? Qu’a fait Blaireau ? — J’ai cru voir Blaireau s’élancer sur le fantôme au moment où il a disparu ; mais j’ai rêvé cela comme le reste.