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« Quand on voit blanchir les haies que l’hiver avait noircies, une noce du peuple, ah ! que c’est joli !… Cependant d’où vient qu’au milieu de ces filles si légères, si rieuses, Baptiste, muet, soupire ? L’épousée est pourtant jolie ! Est-ce que saint Joseph voudrait nous faire entendre, le bon saint, qu’à l’amour trop pressé il ne reste rien à prendre ? Oh ! non, fille qui est en faute ne porte pas le front si haut. Qu’as-tu donc, fiancé ? Ils ne se font aucune caresse : à les voir si indifférens, si froids ; on les croirait de grandes gens ! »

C’est qu’au bas de la colline, dans une chaumière, habite la pauvre Marguerite, orpheline, aveugle, seulement aveugle depuis le dernier été que la petite-vérole ou la rougeole lui a donné sur les yeux. Baptiste devait l’épouser, il le lui a promis, et elle y croit encore ; elle l’attend. Mais, après une absence, il revient, et, cédant aux ordres d’un père avare, il épouse Angèle ; il l’épouse, pensant toujours à Marguerite.

La bonne vieille Jeanne, diseuse de bonne aventure, que la noce rencontre, jette un moment quelque nuage à ces fronts sereins, par des paroles obscures et funèbres ; mais « sur un petit ruisseau clair comme de l’argent, que peuvent deux gouttes d’eau trouble ? » La noce a vite secoué le présage, et les folâtres volages recommencent de bondir et de chanter :


Les chemins devraient fleurir, etc.


Ainsi se termine le premier chant. Le second petit tableau nous montre la pauvre Marguerite seulette dans sa maison, ignorant encore son malheur et se disant à elle-même ses espérances et ses craintes. Le discours simple et naïf, où se déroule son tendre ennui, finit en ces mots : « On dit qu’on aime mieux quand on est dans la peine ; et quand on est aveugle, donc ! » Son petit frère entre là-dessus, il a vu la noce, il s’écrie, il raconte. — « Quoi ? dit Marguerite, Angèle se marie ! Paul, tu l’as vue ? Quel secret ! personne n’en a parlé. Oh ! dis, quel est son fiancé ? » — « Eh ! ma sœur, ton ami Baptiste ! »

« L’aveugle pousse un cri et ne répond plus. La blancheur du lait s’étend sur son visage ; un froid pesant comme le plomb, tombant, à la voix de l’enfant, sur son cœur bientôt sans batte-