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REVUE. — CHRONIQUE.

allemand, s’il allait à Vienne, chinois, s’il allait à Pékin, etc. Français, allemand, chinois par les paroles ; italien toujours par la musique, voilà.

Ce qui vous frappe dans Guillaume Tell, ce qui dès le premier moment entraîne votre sympathie et votre admiration, c’est, avant tout, cette abondance intarissable de mélodie qui se répand comme d’une source vive, fécondant tout sur son passage, les duos, les airs, l’orchestre, les récitatifs. Et, chose merveilleuse, si l’on pense à quel impitoyable sujet le maître avait à faire, la monotonie ne se montre jamais, le rhythme italien est là toujours multipliant à l’infini les mouvemens et les formes. Cela est varié comme la nature, puissant comme le génie. Après l’ouverture magnifique, poème qui vous jette sans retard au milieu de l’action, s’élève, comme une vapeur matinale du lac, une introduction pleine de fraîcheur et de sérénité, si pure et si suave, qu’il semble qu’on la respire plutôt qu’on ne l’écoute. Puis vient l’entrée d’Arnold, une phrase spontanée et sublime, qui jaillit, on ne sait d’où, comme un torrent ; puis le duo, un chef-d’œuvre. Voilà le premier acte de Guillaume Tell. Le second se divise en deux parts : l’une, gracieuse, aimable, charmante ; l’autre, énergique et sublime, et toutes ces choses se combinent à merveille et se fondent harmonieusement dans une espèce de vapeur natale qui, du reste, enveloppe l’œuvre de Schiller. Je ne prétends pas dire ici que Rossini ait emprunté le moins du monde cet effet au tragique allemand. Non, certes, il le tient du génie, qui, pour la poésie comme pour la musique, n’a qu’une inspiration, dont chacun profite ensuite selon sa fantaisie et la mesure de son art. Ce qu’il y a de certain, c’est que dans l’opéra de Rossini, de même que dans la tragédie de Schiller, à travers toutes ces passions qui se rencontrent et se croisent sur la montagne, on ne cesse pas un moment d’entendre le bruit sourd des vents, de la cascade ou du ravin. Quelle agréable et douce mélodie que cette romance de Mathilde, et ce duo entre la princesse et le pâtre ! quelle verve et quel entraînement dans le début ! quelle effusion dans la période qui suit, et ce trio dont l’adagio suffirait à la gloire d’un homme ! quelle composition immense ! Le second acte de Guillaume Tell est peut-être l’œuvre la plus complète que Rossini ait écrite ; tout s’y enchaîne avec une succession admirable ; à chaque instant, une mélodie imprévue et nouvelle jaillit sous vos pas comme l’eau dans les pays de sources vives. Vous écoutez un récitatif qui se développe dans sa largeur et sa simplicité. Soudain voici qu’une bouffée mélodieuse en sort et vous enivre. Pour le troisième acte, qu’on mutile d’une si pitoyable façon, et le quatrième, qu’on a trouvé ingénieux de retrancher, je n’en dirai rien, sinon que c’est toujours la même abondance, la même pensée, le même style imposant et sévère, quoique italien, témoin cette phrase du grand quintette, qui se déploie avec tant d’aisance et d’ampleur.

Maintenant que nous avons parlé à loisir de Rossini, parlons de Duprez ; après le maître le chanteur. Et d’abord, disons-le, cette voix, qu’on avait fait sonner si haut, ne réalise pas les merveilles qu’on en avait contées : elle n’aime ni à descendre ni à monter, et se complaît surtout dans certaines régions modérées, qu’elle n’abandonne jamais qu’à regret ; d’ailleurs, à peu de chose près, deux registres indispensables lui man-