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LA PRESSE FRANÇAISE.

blancs, sont dans la réalité presque aussi noirs que leurs esclaves, nègres africains. Enfin, on sait que l’historien Niebuhr, tout en se prononçant avec les naturalistes pour la permanence des caractères physiques, admet une exception relativement à la chevelure, par déférence pour Virgile, Diodore et Ammien Marcellin, qui disent positivement que les Gaulois, nos ancêtres, étaient presque tous d’un blond doré. En présentant ces objections, qu’il serait facile de multiplier, nous ne prétendons pas trancher une question que nous considérons au contraire comme insoluble. Nous voulons établir seulement que le climat, l’alimentation, l’imitation instinctive, et surtout le régime social, agissent continuellement sur l’organisme, et qu’en conséquence des classifications tracées d’après des symptômes essentiellement variables doivent tenir en défiance le philosophe et l’historien.

L’application des sciences exactes à l’histoire peut être fort utile en beaucoup de cas ; mais elle exige une raison ferme et exercée, une probité critique à l’épreuve des séductions du paradoxe. Un médecin distingué, M. Lélut, n’a pas évité cet écueil dans un livre intitulé : Du Démon de Socrate. Ce bon sens prophétique, cet élancement irrésistible vers le beau et le bien, que le sage attribuait naïvement à l’impulsion d’un bon génie, sont pour la faculté des symptômes qui appellent un rigoureux traitement. Figurons-nous, par un caprice d’imagination, M. Lélut médecin à Athènes, et consulté par des disciples inquiets. Il eût formulé dans le préambule de son ordonnance les lignes que nous lisons aujourd’hui dans son livre. — « Il résulte que Socrate est bien véritablement fou, puisque, s’il y a un caractère formel et indubitable de la folie, ce sont les hallucinations, c’est-à-dire cet état intellectuel où nous prenons nos propres pensées pour des sensations causées par l’action immédiate des objets extérieurs. Le philosophe a présenté, pendant quarante ans peut-être, ce caractère irréfragable de l’aliénation mentale. » — Ne concevant pas qu’un état maladif si long-temps prolongé n’eût pas altéré l’arme irrésistible dont Platon hérita, la logique socratique, nous nous en tiendrons à l’avis d’un véritable médecin de l’ame. « Le démon de Socrate, dit Montaigne, était une certaine impulsion de volonté qui se présentait à lui sans le conseil de sa raison. En une ame bien épurée, comme la sienne, et préparée par un continuel exercice de sagesse et de vertu, il est vraisemblable que ces inclinations, quoique téméraires et indigestes, étaient toujours importantes et dignes d’être suivies. » Notre dernier mot à M. Lélut sera que, quand même il eût prouvé sa thèse désolante, il n’eût pas justifié le titre ambitieux de son ouvrage, qu’il présente comme une application de la psychologie aux études historiques.