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LA PRESSE FRANÇAISE.

un caractère de grandeur auquel la plus froide raison doit céder. Mais dans cette chaleur d’enthousiasme, dans cette impatience d’imitation, n’a-t-on pas oublié trop facilement qu’entre la condition des Américains et la nôtre il existe des différences qu’il serait trop long d’énumérer, et dont une seule remarque de M. Chevalier fait ressortir l’importance. – « En Europe, dit-il, une coalition d’ouvriers ne peut signifier que l’une de ces deux alternatives : augmentez nos salaires, sinon, nous nous laissons mourir de faim, nous, nos femmes et nos enfans (ce qui est absurde), ou : augmentez nos salaires, sinon nous prenons nos fusils (ce qui est un défi de guerre civile). En Amérique, au contraire, une coalition signifie augmentez nos salaires, sinon nous allons à l’ouest. Voilà pourquoi les coalitions qui, en Europe, sont souvent de force à ébranler les pouvoirs robustement organisés, ne présentent aucun danger pour l’ordre public aux États-Unis où l’autorité est désarmée. »

Il est évident que le rapide accroissement de la tige américaine tient à des circonstances inouies dans les fastes de l’humanité. Mais la veine de prospérité n’est pas inépuisable. On peut prévoir l’époque où les pionniers atteindront les dernières limites de l’ouest, où le congrès n’aura plus de terrain à vendre à raison de 16 francs l’hectare. De 1790 à 1832, la population a suivi la loi progressive indiquée par Malthus[1]. S’il arrivait que la progression arithmétique se soutint encore pendant un siècle, le domaine de l’Union serait dès-lors plus chargé que l’Europe entière. Le peuple américain n’a pas eu de jeunesse : l’abus des forces viriles hâtera pour lui les infirmités qui affligent nos sociétés vieillies. Qu’on se le représente donc, dans un état analogue au nôtre, épuisé par l’encombrement, le combat des intérêts, l’héritage des passions, la fatigue morale, et qu’on se demande si ces maux trouveront leur remède dans la pétulance industrielle et l’équilibre fédératif qui ont aujourd’hui tant d’admirateurs en Europe ? Il est permis d’en douter, en trouvant dans un ouvrage consacré à un peuple à peine constitué, une lettre qui a pour titre : Symptômes de révolutions. — « Une crise est imminente, dit l’auteur d’après M. Clay, une des lumières du congrès : le système américain ne joue plus régulièrement. Au nord, l’extension illimitée du droit de suffrage, sans la création d’aucune institution politique régulatrice, a rompu tout équilibre. Au sud, la vieille base empruntée aux sociétés d’avant J. C., sur laquelle on a voulu élever au xixe siècle un ordre social nouveau, s’agite et menace de bouleverser l’œuvre à demi achevée des imprévoyans bâtisseurs. Dans l’ouest, une population sortie de terre, affecte déjà des

  1. Cet économiste a établi que la population d’un état peut se doubler en vingt-cinq ans, en supposant toutes circonstances favorables. La Chine a, dit-on, réalisé cette loi sous les deux derniers règnes.