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vention, contre l’application inintelligente des traditions littéraires ; mais cet enseignement a fait son temps, et doit aujourd’hui se résigner au silence. La réalité est en possession d’une assez haute estime pour que la critique consente à la distinguer de la poésie. Il n’y a nul danger à séparer nettement la tâche de l’historien et la tâche du poète. La tradition ne règne plus en souveraine ; loin de là, elle est méconnue et détrônée. Il ne s’agit plus de l’abattre, elle est gisante à nos pieds. Elle n’entrave plus le mouvement de la discussion. L’impartialité nous est facile, car notre colère ne saurait où se prendre ; et le respect de la vérité nous défend de confondre l’histoire et la poésie.

Mais si l’histoire n’est pas la poésie, comment la poésie doit elle employer l’histoire ? Arrivée à ce point, nous en avons l’assurance, la discussion n’a plus rien d’embarrassant. La loi suprême de l’emploi de l’histoire au théâtre n’est autre que l’interprétation. Or, interpréter une vérité, quelle qu’elle soit, c’est évidemment en développer tous les élémens, en montrer toutes les faces, toutes les origines et toutes les conséquences. La loi d’interprétation ne permet donc pas, comme l’ont pensé plusieurs poètes contemporains, de transformer capricieusement la donnée historique ; car le commentaire ne peut mentir au texte, sans cesser d’être commentaire. Interpréter l’histoire poétiquement, c’est agrandir, exagérer à propos les parties sur lesquelles on a résolu d’appeler l’attention, et qui, dans le modèle historique, n’ont qu’une importance secondaire ; c’est éclairer d’une lumière abondante les faces d’un évènement ou d’un caractère que l’histoire a laissées dans l’ombre. Mais à moins que les mots dont se composent les langues humaines n’aient une valeur absolument arbitraire, à moins que les rapports de l’expression et de l’idée ne soient condamnés à une mobilité indéfinie, l’interprétation et la méconnaissance ne pourront jamais s’identifier ; car pour agrandir, pour exagérer la donnée historique, il faut commencer par l’affirmer, par la proclamer ; pour élargir le portique de l’édifice, il faut commencer par conserver religieusement le style adopté par l’inventeur. Ignorer, oublier ou méconnaître la donnée historique, c’est violer la loi d’interprétation, c’est rendre l’application de cette loi absolument impossible ; c’est vouloir élargir un portique sans savoir dans quel ordre d’architecture il a été conçu, expliquer une page sans