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santeries. Xénocrate, qui était en chaire, perdit d’abord le fil de ses idées. Il avait, dit l’histoire, l’intelligence lente et pesante, et Platon le comparait à un âne auquel il fallait l’éperon, pour ne pas dire le bâton ; lui-même se comparait à un vase dont le cou était étroit, recevant avec peine, mais gardant bien. Aristote le comparait encore à autre chose, à un cheval, je crois, mais peu importe. Xénocrate donc, qui avait les mœurs dures et l’extérieur rebutant, et qui parlait dans ce moment-là des nombres impairs et des monades, resta coi pendant cinq minutes. Le regard aviné de l’adolescent l’avait fait rougir dans sa barbe longue. Mais, après quelques efforts, quittant le sujet qu’il avait entamé, il se mit à parler tout à coup de la modestie et de la tempérance. C’était, à vrai dire, son fort que ce chapitre, et certes il y devait faire merveille, lui que Phryné ne put dégourdir. Il parla donc, fit le portrait du vice dont le modèle posait devant lui, peignit d’abord les voluptés grossières et leur inévitable fin, le cœur usé, l’imagination flétrie, les regrets, le dégoût, les insomnies ; puis changeant de ton, il vanta la sagesse, fit entrer ses auditeurs dans la maison et dans le cœur d’un homme sobre, montra l’eau pure sur sa table, la santé sur ses joues, la gaieté dans son cœur, le calme dans sa raison, et toutes les richesses d’une vie honnête ; cependant Polémon se taisait, regardait en l’air, puis écoutait, et à mesure que Xénocrate parlait, prenait une posture plus décente. Il ramena peu à peu ses bras sous son manteau, se baissa, rajusta sa chaussure, enfin il se leva tout droit et jeta sa couronne. De ce jour-là il renonça au vin, au jeu, et presque à sa maîtresse ; du moins professa-t-il la vie la plus austère, et, retiré dans un petit jardin, six mois après il était aussi sobre qu’il avait passé pour ivrogne. Sa fermeté devint telle que, mordu à la jambe par un chien (enragé, dit-on, mais ce n’est pas sûr), il ne voulut jamais convenir que cela lui fît le moindre mal. Il parla à son tour des monades et des nombres impairs, de la divinité mâle et de la femelle, forma Zénon, Cratès le stoïcien, Arcésilas et Crantor, qui écrivit un traité de luctu ; après quoi il mourut phthisique, mais fort vieux et fort honoré.

Que pensez-vous, monsieur, de cette histoire ? Je l’ai toujours aimée, et Cotonet aussi, non à cause de l’exemple, dont on peut disputer ; mais de pareils traits peignent un monde. Ne vous sem-