ble-t-il pas d’abord que l’affaire n’a pu se passer qu’en Grèce, et qu’à Athènes, et qu’en ce temps-là ? Car il ne s’agit pas, notez bien, d’une conversion par la grace de Dieu, à la manière chrétienne, excellente d’ailleurs, mais où il y a miracle, et c’est autre chose. Il ne s’agit que d’un simple discours d’un citoyen à un autre citoyen. Et n’y a-t-il pas dans cette rencontre, dans cet accoutrement de Polémon, dans cette apostrophe de Xénocrate, dans ce coup de théâtre enfin, je ne sais quoi d’antique et d’archi-grec ? Prenez donc la peine d’en faire autant à l’époque où nous sommes, si vous croyez que ce soit possible. Menez à un cours de la Sorbonne un homme qui sort de chez sa maîtresse, en l’année 1837. Combien de nous, en pareil cas, bâilleraient là où Polémon rattachait sa veste, et à l’instant où il jeta ses roses, hélas ! monsieur, combien dormiraient !
Mais je suppose que quelqu’un de nous fasse l’action de Polémon, fût-ce à Notre-Dame, il le peut, s’il le veut ; dites-moi pourquoi vous poufferiez de rire, et moi aussi, et peut-être le curé ? Et pourquoi donc, en lisant l’histoire grecque, ne riez-vous pas de Polémon ? Tout au contraire, vous le comprenez (blâmez-le ou approuvez-le, peu importe) ; mais enfin vous admettez le fait comme vrai, comme simple, comme énergique.
Supposons encore, et retranchant les détails, allons au résultat : c’est un garnement qui se range ; ceci est vrai de tout temps, et probablement il avait des dettes. Il vend ses chevaux, loue une mansarde, et le voilà bouquinant sur les quais. Qui le remarquera aujourd’hui ? Qui, à Paris, se souciera une heure d’une conversion qui fut, à Athènes, un évènement ? Qui prendra exemple sur le converti ? Quel compagnon de ses plaisirs passés va-t-il sermonner et convaincre ? Son petit frère ne l’écoutera pas. Où tiendra-t-il école, et qui ira l’y voir ? Ce qu’il a fait est sage, et on en convient ; il n’a qu’à en parler pour n’être plus qu’un sot.
Pourquoi cela ? Notre conte ne renferme ni intervention divine, ni circonstance réellement extraordinaire ; il n’est qu’humain, et il a été vrai, et il serait absurde aujourd’hui. Pourquoi a-t-il été possible ? Parce qu’il y avait à Athènes presque autant de philosophes que de courtisanes, et des courtisanes philosophes, et beaucoup de raisonneurs sur les choses abstraites, et beaucoup de gens qui les écoutaient, et Platon, qui, à lui seul, avec son automate, fai-