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tienne, et répète cent fois par jour : « Que Dieu lui pardonne dans l’autre vie, comme je lui pardonne dans celle-ci ! Après tout, il faut bien aimer une femme pour la tuer ! J’ai eu tort de ne pas l’épouser, il m’aurait peut-être rendue heureuse ; je l’ai porté au désespoir, et il s’est vengé de moi. Chère Leblanc, garde-toi de jamais trahir le secret que je te confie. Un mot indiscret le conduirait à l’échafaud, et mon père en mourrait ! » La pauvre demoiselle est loin d’imaginer que les choses en sont là, que je suis sommée par la loi et par la religion de dire ce que je voudrais taire, et qu’au lieu de venir chercher ici un appareil pour les douches, je suis venue confesser la vérité. Ce qui me console, c’est que tout cela sera facile à cacher à M. le chevalier, qui n’a pas plus sa tête que l’enfant qui vient de naître. Pour moi, j’ai fait mon devoir, que Dieu soit mon juge. —

Après avoir ainsi parlé avec une parfaite assurance et une grande volubilité, Mlle Leblanc se rassit au milieu d’un murmure approbateur, et on procéda à la lecture de la lettre trouvée sur Edmée.

C’était bien celle que je lui avais écrite quelques jours avant le jour funeste. On me la présenta, je ne pus me défendre de porter à mes lèvres l’empreinte du sang d’Edmée ; puis ayant jeté les yeux sur l’écriture, je rendis la lettre en déclarant avec calme qu’elle était de moi.

La lecture de cette lettre fut mon coup de grâce. La fatalité qui semble ingénieuse à nuire à ses victimes, voulut (et peut-être une main infâme contribua-t-elle à cette mutilation) que les passages qui témoignaient de ma soumission et de mon respect fussent détruits. Certaines allusions poétiques qui expliquaient et excusaient les divagations exaltées, furent illisibles. Ce qui sauta aux yeux et s’empara de toutes les convictions, ce furent les lignes restées intactes qui témoignèrent de la violence de ma passion, et de l’emportement de mes délires. Ce furent des phrases telles que celle-ci : J’ai parfois envie de me lever au milieu de la nuit, et d’aller vous tuer ! Je l’aurais fait déjà cent fois, si j’étais assuré de ne plus vous aimer quand vous serez morte. Ménagez-moi, car il y a deux hommes en moi, et quelquefois le brigand d’autrefois règne sur l’homme nouveau, etc. Un sourire de délices passa sur les lèvres de mes ennemis. Mes défenseurs furent démoralisés, et mon pauvre sergent