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MAUPRAT.

lui-même me regarda d’un air désespéré. Le public m’avait déjà condamné.

Après cet incident, l’avocat du roi eut beau jeu à déclamer un réquisitoire fulminant, dans lequel il me présenta comme un pervers incurable, comme un rejeton maudit d’une souche maudite, comme un exemple de la fatalité des méchans instincts ; et après s’être évertué à faire de moi un objet d’horreur et d’épouvante, il essaya, pour se donner un air d’impartialité et de générosité, de provoquer en ma faveur la compassion des juges ; il voulut prouver que je n’étais pas maître de moi-même, que ma raison, bouleversée dès l’enfance par des spectacles atroces et des principes de perversité, n’était pas complète, et n’aurait jamais pu l’être, quelles qu’eussent été les circonstances, et le développement de mes passions. Enfin, après avoir fait de la philosophie et de la rhétorique, au grand plaisir des assistans, il conclut contre moi à la peine d’interdiction et de réclusion à perpétuité.

Quoique mon avocat fût un homme de cœur et de tête, la lettre l’avait tellement surpris, l’auditoire était si mal disposé pour moi, la cour donnait publiquement de telles marques d’incrédulité et d’impatience en l’écoutant (habitude indécente qui s’est perpétuée sur les siéges de la magistrature de ce pays), que son plaidoyer fut pâle. Tout ce qu’il parut fondé à demander avec force, fut un supplément d’instruction. Il se plaignit de ce que toutes les formalités n’avaient pas été remplies, de ce que la justice n’avait pas suffisamment éclairé toutes les parties de l’affaire, de ce qu’on se hâtait de juger une cause dont plusieurs circonstances étaient encore enveloppées de mystère. Il demanda que les médecins fussent appelés à s’expliquer sur la possibilité de faire entendre Mlle de Mauprat. Il démontra que la plus importante, la seule importante déposition était celle de Patience, et que Patience pouvait se présenter au premier jour et me disculper. Il demanda enfin qu’on fît des recherches pour retrouver le moine quêteur dont la ressemblance avec les Mauprat n’avait pas encore été expliquée, et avait été affirmée par des témoins dignes de foi. Il fallait, selon lui, savoir ce qu’était devenu Antoine de Mauprat, et faire expliquer le trappiste à cet égard. Il se plaignit hautement de ce qu’on l’avait privé de tous ces moyens de défense en refusant tout délai, et il eut la hardiesse de faire entendre qu’il y avait de mauvaises pas-