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tain dont l’ambition russe menace incessamment la Turquie, est omis ou méconnu. Assurément, l’ambition russe, les prétentions et les manœuvres du cabinet de Saint-Pétersbourg à Constantinople, en Perse et sur plusieurs autres points de ces vastes contrées, font une grande figure dans la question d’Orient ; mais elles ne sont, à notre sens, ni la question tout entière, ni la question elle-même. Ne voir et n’accuser que l’action de la Russie dans le déplorable affaiblissement de l’empire turc, c’est en même temps avoir la vue très courte et juger avec passion, ce dont il faut se garder avant tout dans les questions politiques, sous peine, quand on a mal vu et jugé sans impartialité, d’imprimer à la conduite pratique des affaires une mauvaise direction. L’affaissement de la Turquie tient à des causes beaucoup plus profondes et beaucoup plus anciennes que les attaques à force ouverte et les intrigues de son formidable voisin du nord ; et ce sont, il faut le dire, des causes plus honorables pour l’humanité. Non pas, certes, que la civilisation et l’humanité dussent gagner aujourd’hui à l’extinction de l’empire ottoman, qui essaie de se réformer ; mais parce que, jusqu’à ces derniers temps, toutes les défaites qu’il a essuyées ont été autant de victoires gagnées, sous d’autres noms peut-être, pour l’humanité et la civilisation, victoires glorieuses, faits accomplis, heureusement, qu’il serait aujourd’hui puéril et complètement inutile de regretter.

Préoccupés outre mesure des périls que l’affaiblissement de la Turquie pouvait faire courir à l’équilibre de l’Europe, tous ceux qui ont appelé l’attention publique sur ces graves intérêts n’ont pas toujours bien dirigé leurs recherches ni suffisamment distingué ce qui devait l’être. Ils n’ont pas toujours bien saisi le principe du mal, et ont trop souvent pris la cause pour l’effet. Il en est même qui, dans leur enthousiasme de fraîche date pour le successeur des Soliman et des Sélim, verraient rétablir avec joie la formidable puissance que ces grands hommes avaient élevée, et s’imaginent peut-être que rien ne serait plus facile. Ce sont des esprits obsédés par un fantôme, et que la peur empêche de se tenir dans le vrai. Pour y rester, pour ne pas se livrer à des exagérations déraisonnables, il ne faut pas courir les yeux fermés sur ce qu’on croit être le seul obstacle et le seul danger : il faut regarder à droite et à gauche, tenir compte de plus d’une diffi-