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Page:Revue des Deux Mondes - 1837 - tome 10.djvu/779

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LE SALON DU ROI.

s’entourant d’avis éclairés et surtout désintéressés, dire à un homme capable : Voici un monument que je vous livre ; pétrissez-le, animez-le selon votre volonté ; écrivez sur les faces de ce bloc immense les plus belles pages de notre histoire militaire, depuis la convention jusqu’à la chute de l’empire ; vous savez mieux que moi ce qui convient à la pierre que je vous livre ; je ne vous donne aucun programme, car ce qui est, pour la plume de l’historien, l’occasion d’un magnifique récit, peut très bien n’offrir au ciseau qu’une matière stérile ; assurément l’Arc de l’Étoile ne serait pas ce qu’il est, et au lieu de compter parmi les monumens les plus incohérens, il serait pour nous un sujet d’étude, sinon d’admiration. Il aurait la double unité qui lui manque, l’unité intellectuelle et l’unité sculpturale. Une seule pensée circulerait autour de ce bloc aujourd’hui inanimé, un style unique régirait toutes les parties de cette pensée. Qu’on ne dise pas qu’il eût été scandaleux de donner à un seul homme les douze cent mille francs dépensés pour la sculpture de l’Arc, car une pareille assertion est contraire à toutes les lois du bon sens. Avec de pareils scrupules il eût été impossible de demander au seul Raphaël les cinquante-deux loges du Vatican, l’École d’Athènes, la Dispute du Saint-Sacrement, la Jurisprudence et le Parnasse qui décorent la salle de la Signature, et l’histoire entière de Psyché ; il n’eût pas été permis de confier au seul Michel-Ange toute la voûte de la Sixtine, le Jugement dernier qu’il a exécuté, et la chute des anges qu’il devait peindre dans les mêmes proportions. Les conclusions suffisent pour juger le principe. Raphaël et Michel-Ange ont dû à l’étendue immense de leurs travaux la meilleure partie de leur éducation pittoresque. M. Sigalon, en copiant le chef-d’œuvre terrible du Florentin, en a plus appris qu’en peignant vingt toiles de galerie. M. Delacroix, en décorant le Salon du Roi, a conquis, dans l’espace de deux ans, ce qu’il eût peut-être poursuivi vainement si cette occasion d’agrandissement ne se fût pas présentée à lui. Les travaux de peinture et de statuaire n’appartiennent pas à tout le monde, pas plus que le gouvernement du pays, mais bien aux plus dignes. Donner aux plus dignes ce qui leur est dû n’est pas une violation du droit commun : en pareil cas, le privilége est la seule justice.


Gustave Planche.