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HISTOIRE LITTÉRAIRE.

sans titre, partageait souvent avec Oxford et avec lui les secrets du cabinet.

Au milieu de ces soins politiques, Swift, bel esprit dans toute la force du terme, était fort préoccupé des intérêts de la langue et du goût. Il publia, dans cette pensée, une lettre à lord Oxford, où, déplorant la corruption et l’instabilité de l’idiome anglais, il proposait, pour remédier au mal, l’établissement d’une académie, sur le modèle de la nôtre, et qui ferait, comme elle, un dictionnaire officiel de la langue. On se récria contre ce joug, surtout contre le danger que la nouvelle académie ne fût toute composée de tories, et le projet n’eut pas de suite.

Peu importait au reste : les bons écrits font plus pour la langue que les académies ; et il en paraissait beaucoup alors, sous ces formes abrégées et concises, qui plaisent à un peuple occupé d’affaires.

En face de Swift et de Bolingbroke, si véhémens et si spirituels dans la polémique, il faut placer Steele, que ses pamphlets portèrent à la chambre des communes, et qui en fut arbitrairement chassé par une colère de majorité, pour un dernier pamphlet intitulé la Crise, dans lequel il réclamait la démolition des forts de Dunkerque, alors au pouvoir de l’Angleterre. Imprudent et irrégulier dans sa vie, grave et austère dans ses écrits, Steele, avec moins d’art et de finesse qu’Addison, dont il respectait le génie, était un contradicteur plus vif, plus amusant, plus amer. Vrai patriote anglais, il défendit toujours les intérêts et les libertés du pays, indépendamment des passions de son parti ; et il eut, à cet égard, plus de constance ou de lumières qu’Addison. Mais cette polémique si nerveuse et si sensée de Steele, ses piquans écrits sur l’état de l’Europe, la guerre, la paix, la succession protestante, sa belle défense du nombre illimité des pairs dans un intérêt de liberté, tout cela est maintenant question oubliée, talent perdu, verve éteinte, selon la loi éternelle de ces controverses politiques qui passionnent si vivement les contemporains. Ce qu’on lira toujours de Steele, ce sont quelques excellens chapitres de mœurs ou de littérature, qu’il a jetés dans le Spectateur, où ils forment une nuance du naturel élégant d’Addison. On y trouve, avec une forte teinte nationale, la même imitation du goût français, ou du moins la même affinité avec le jugement et l’imagination saine de